Repenser le ’’partenariat oriental’’

L’Union européenne a signé avec six pays de l’ex-Union soviétique – Arménie, Azerbaïdjan, Biélorussie, Géorgie, Moldavie, Ukraine – un « partenariat oriental » dont l’objectif est de développer la coopération sans ouvrir une perspective d’adhésion. Ces Etats, dont la plupart sont touchés par des « conflits gelés », quand ils ne sont pas le théâtre d’une guerre ouverte comme l’été 2008 entre Moscou et Tbilissi, sont aussi l’objet de toute l’attention de la Russie. Ce voisinage partagé met en cause les relations des pays membres de l’UE avec la Russie. Deux chercheurs de l’European Council on Foreign Relations (ECFR), Andrew Wilson et Nicu Popescu, se demandent si l’élargissement « allégé » que représente le partenariat oriental est une réponse suffisante à cette compétition avec le Kremlin qui vise à reconstituer sa zone d’influence. Nous publions ci-dessous une synthèse du cahier récemment sorti par l’ECFR (www.ecfr.eu)

Les six voisins orientaux de l’Union européenne – Biélorussie, Ukraine, Moldavie, Géorgie, Arménie et Azerbaïdjan — doivent actuellement faire face aux pires troubles économiques et politiques qu´ils aient connu depuis leur accession à l´indépendance en 1991. Depuis l´année dernière, conflits et incidents se sont succédés à la une des journaux européens : la guerre d´août 2008 en Géorgie, la crise du gaz ukrainien en janvier 2009, puis l’incendie du Parlement moldave après les élections d’avril 2009... Derrière les gros titres, c’est toute la situation politique qui s’aggrave dans le voisinage[1] oriental de l’Union Européenne : elle est un mélange toxique d’autoritarisme et de démocratie bloquée, mélange alimenté par la poursuite de tensions sécessionnistes, sources potentielles de conflits violents, et par une crise économique qui fait des ravages dans la région. 

Cette situation est dangereuse pour l’Union Européenne. Un regain des hostilités ou un effondrement économique pourraient provoquer un afflux d’immigrants vers ses Etats membres situés les plus à l’Est. Ils pourraient aussi mettre en difficulté plusieurs banques dans ses Etats membres de l’Ouest, banques qui se trouvent fragilisées par les défaillances des économies du voisinage oriental. Mais au-delà de ces dangers immédiats, c´est une nouvelle compétition qui s´ouvre entre l’UE et la Russie pour définir les règles politiques à adopter pour gérer la région voisine. Depuis la révolution orange de 2004 en Ukraine, la Russie a œuvré sans relâche pour attirer les pays voisins dans sa sphère d’influence alors que l’UE s’est contentée de poursuivre une stratégie technocratique que l’on pourrait qualifier d’“élargissement allégé” — offrant aux Etats voisins la perspective d´un alignement politique et économique sur l’UE tout en limitant leurs espoirs d’une accession complète.

Le dernier avatar de cette stratégie de l’UE est le "Partenariat Oriental" (PO), un prolongement de la Politique européenne de voisinage (PEV)[2]. Mais le sommet de lancement du PO, qui s’est tenu le 7 mai dernier à Prague, n’a fait que mettre en lumière les problèmes liés à l’approche européenne. Angela Merkel était la seule des "poids-lourds" européens à avoir fait le déplacement : les divisions au sein de l’UE s’en trouvaient exposées au grand jour et confirmaient les doutes des pays voisins sur l’importance donnée à leur région. Dans le communiqué final du Sommet, les pays du voisinage oriental se voyaient même relégués au rang de "pays partenaires" et non plus de "pays européens", tant on craignait de nourrir le moindre espoir d’une possible entrée dans l’UE. L’Allemagne et la France ont également réussi à noyer le débat sur la libéralisation des visas, un point essentiel pour les Etats voisins.

Un voisinage sujet aux crises

Le voisinage oriental est miné par trois types de crises. La première crise découle de la faiblesse du pouvoir des Etats : la corruption sévit dans toute la région et de nombreux gouvernements doivent lutter pour contenir leurs provinces frontalières sécessionnistes qui n’acceptent plus leur autorité. La deuxième crise résulte de la volonté russe de reconstituer sa sphère d’influence et de saper la souveraineté des Etats voisins orientaux. Troisième terreau de crise, les dégâts causés par la récession économique mondiale montrent qu’il existe un risque réel de faillite des économies, si ce n’est de faillite des Etats au sein du voisinage oriental de l’UE.

L’UE n´a apporté que des réponses tardives et inefficaces aux crises dans la région. Lorsque la guerre a éclaté en Géorgie en août 2008, les institutions européennes étaient sur le banc de touche et la Commission européenne a été prise au dépourvu. Pendant la récente crise du gaz, l’UE n’a tout d’abord pas pris position sous prétexte que le différend entre l’Ukraine et la Russie était d’ordre “commercial”. Les désaccords entre les Etats membres constituent un problème récurrent : certains d’entre eux, comme l’Italie, ont accusé le président géorgien Mikheil Saakashvili d’avoir provoqué la guerre avec la Russie en août dernier, tandis que d’autres, comme la Pologne, ont rejeté la faute sur le Kremlin. Ces échecs sont renforcés par la tendance "insulaire" de l’UE à suivre une politique unique concoctée par Bruxelles plutôt que de répondre concrètement à la situation sur le terrain.

Il n´est donc pas étonnant que les voisins orientaux privilégient une approche opportuniste, « à la carte », de leur engagement envers l’UE, considérant leurs rapports avec cette dernière comme un instrument pour accroître leur liberté d’action plutôt qu’une opportunité pour entreprendre des réformes. Ils ne sont pas pressés de se démocratiser, mais profiteront de la moindre aide économique ou politique qui s’offrira à eux.

L’UE et la Russie – deux influences rivales

L’Union Européenne exerce un fort attrait dans son voisinage. Les élites comme l’homme de la rue préfèrent l’UE à la Russie, qu´il s´agisse d´y faire des études, d´y travailler ou d´y passer des vacances. Mais pendant que l’Europe s’est contentée de se reposer sur le “magnétisme” de son modèle, la Russie a eu le champ libre pour renforcer son pouvoir d´attraction dans le voisinage, et surtout, elle a compris le potentiel de mesures ciblées et séduisantes. Tandis que l’UE inflige sa lourde bureaucratie à ses voisins, la Russie offre des bénéfices directs tels que des exemptions de visa et une énergie bon marché. Les citoyens du voisinage commencent à y être sensibles – la Moldavie est à présent le seul pays de la région dont une forte majorité des habitants est favorable à une plus grande intégration avec l’UE.

Le rêve de l’adhésion à l’UE reste puissant au sein de nombreux pays issus de l’ex-Union Soviétique, mais l’UE passe plus de temps à écarter cette perspective qu’à mettre en avant l’identité européenne qu´elle partage avec ses voisins. En revanche, la Russie joue constamment sur la rhétorique de la fraternité et s’investit dans des projets régionaux multilatéraux qui profitent concrètement aux Etats voisins.

Les politiques économiques de l’UE ont produit des effets : tous les pays du voisinage, à l’exception de la Biélorussie, commercent davantage avec l’UE qu’avec la Russie, et l’UE jouit d’un surplus commercial avec cinq des six pays (à l´exception de l’Azerbaïdjan, grand exportateur d’énergie). Pourtant c’est bien la Russie qui a réussi à utiliser ses atouts économiques pour étendre son influence politique dans la région en concentrant ses investissements dans des domaines stratégiques tels que les infrastructures et l’énergie : un pays peut survivre sans Ikea, mais pas sans gaz.

Rien n´amoindrit plus l’influence de l’UE dans le voisinage que le caractère restrictif de sa politique de visas. Inversement, l’attrait principal de la Russie réside dans la possibilité donnée aux citoyens des pays voisins de circuler librement en Russie et de travailler au sein de ce qui était encore récemment une économie en croissance rapide. La grande majorité des immigrants économiques du voisinage travaillent en Russie, injectant ainsi chaque année des milliards dans leurs pays d’origine.

L’UE hésite sur les moyens d´appliquer ses valeurs politiques dans le voisinage, voulant à la fois promouvoir la démocratie et maintenir ses relations avec tous ses voisins, y compris les régimes autoritaires. La Russie, de son côté, construit des alliances avec tous ses Etats voisins dès lors qu’elle en voit l’intérêt, n´hésitant pas à user, le cas échéant, de son art consommé de la manipulation politique : se mêlant de politique régionale dans certains cas et offrant un modèle pour les régimes corrompus dans d’autres.

L’UE a été complètement éclipsée par la Russie des médias dans les pays du voisinage oriental. Dans la région, peu de gens lisent ou regardent les médias européens et, mis à part l’Ukraine, aucun des six Etats ne dispose de médias indépendants. Les médias russes jouent un rôle actif dans la politique intérieure des pays voisins et façonnent le regard des citoyens sur les événements internationaux.

L’UE reste le modèle politique le plus puissant au sein des pays voisins de l’Est, mais les Européens ont échoué à cultiver leur « soft power » tandis que les Russes ont réussi à consolider le leur. Le modèle de gouvernance de l’UE est peut-être plus attrayant que celui de la Russie, mais ce ne sont pas toujours les meilleurs qui gagnent.

La coercition au sein du voisinage — les pressions de la Russie et de l’UE

La Russie d’aujourd’hui n’est plus l’URSS de la Guerre Froide. Elle n´est plus dotée d´une doctrine stratégique explicitement agressive. Mais, après l’effondrement de l’Union Soviétique, elle a maintenu une présence militaire dans tous les pays voisins, empêchant les gouvernements centraux de jouir d’une pleine souveraineté sur leur territoire et limitant leur marge de manœuvre en politique étrangère. La Biélorussie et l’Arménie, toutes deux alliées de Moscou, saluent la présence des troupes russes sur leur territoire. L’Azerbaïdjan et la Moldavie sont plus ambivalents sur la question. La Géorgie est, bien entendu, opposée au renforcement des troupes russes opéré cette année en Ossétie du Sud et en Abkhazie, mais elle n’est pas en position d’imposer un retrait aux Russes. En Ukraine, les tensions persistent à propos de la flotte russe de la Mer Noire, basée en Crimée, la seule province majoritairement russe du pays.

La Russie a également développé un ensemble de moyens économiques gouvernementaux qui lui permettent de lier ses opérations commerciales et ses exportations énergétiques à ses objectifs politiques. Elle offre ainsi à ses voisins des avantages tels que du gaz à bas prix en échange du contrôle de leurs infrastructures énergétiques ou de la satisfaction d´exigences russes dans d’autres domaines que l’économie. Mais Moscou peut aussi serrer la vis si nécessaire. Après l’arrestation par la Géorgie de quatre espions russes en septembre 2006, Moscou avait instauré un blocus sur les transports et les services postaux, expulsé plusieurs centaines de Géorgiens et fermé l’unique frontière terrestre entre les deux pays.

L’activisme russe contraste avec la posture de l’UE, qui s’avère réticente à s’engager et ne réagit que tardivement aux évènements qui surviennent dans son voisinage. Parce qu’elle a refusé, pendant des années, de prendre au sérieux les conflits locaux en Géorgie, elle s´est finalement retrouvée à devoir investir plus d’un milliard d’euros et envoyer près de 300 observateurs sur place, juste pour tenter de « re-geler » la situation après la guerre de 2008. L’UE a parfois voulu introduire des mesures coercitives telles que des interdictions de voyage et des gels d’avoirs. Mais ces sanctions ciblées, ou « intelligentes » (smart sanctions), si elles ont, au mieux, gêné quelques individus, n’ont, en fait, eu que très peu d’effet sur le terrain.

Recommandations politiques

L’UE devrait, là où elle le peut, coopérer avec la Russie dans la région, par exemple, en soutenant publiquement les propositions lancées en juin 2008, par le Président Medvedev, de débattre d’une “nouvelle architecture européenne de sécurité”. Mais les Etats membres doivent également accepter qu’un certain degré de concurrence perdure dans la région, entre une Russie activiste dont le but est d’attirer les pays voisins au sein de sa sphère d’influence, et une UE qui veut instaurer la démocratie, la stabilité et l’état de droit.

Plutôt qu’une approche unique, visant à un élargissement « allégé », l’UE doit développer une stratégie politique à double détente, en complément des processus bureaucratiques de la PEV et du PO. Tout d’abord, les Etats membres ainsi que les institutions de l’UE, doivent augmenter leur pouvoir d’attraction dans la région. Deuxièmement, l’UE doit développer des politiques imaginatives en vue d’aider ses voisins à éviter (dans la mesure du possible) et faire face (le cas échéant) aux crises politiques et économiques.

Rendre l’UE plus attrayante

Pour l’UE, la meilleure façon de redorer son image dans la région serait de libéraliser sa politique d’octroi des visas. Des feuilles de route devraient être proposées à l’Ukraine et à la Moldavie concernant des exemptions de visa pour tous les citoyens, avec pour contreparties des exigences très fermes quant aux réformes à accomplir dans la gestion des frontières et des agences de maintien de l’ordre. La Commission devrait, entretemps, s’assurer que tous les Etats membres appliquent les accords sur la facilitation d’octroi des visas déjà signés avec ces deux pays en janvier 2008. Dans le Sud du Caucase et en Biélorussie, l’UE devrait continuer à faciliter les procédures d’obtention des visas pour certaines catégories de citoyens, journalistes, hommes d’affaires ou étudiants. L’UE devrait faire grâce des frais de visa lors de ses négociations avec tous les pays du voisinage. Une attention toute particulière devrait être portée à l’amélioration des conditions d’octroi des visas : les procédures existantes devraient être améliorées et le modèle du Centre Commun de Traitement des Demandes de Visas, créé à Chişinău en 2007 – un centre unique où les Moldaves peuvent déposer leurs demandes de visas pour voyager dans un certain nombre d’Etats membres — devrait être reproduit dans tous les pays du voisinage oriental. En vue d’apaiser les inquiétudes des Etats membres concernant la libéralisation de l’octroi des visas, la présidence suédoise de l’UE devrait initier des réunions annuelles entre les ministres de l’intérieur du PO (27+6) et mettre en place des groupes de travail réguliers sur l’immigration et le crime organisé.

L’UE doit aussi montrer son intérêt pour le "symbolisme politique". Pour certains pays situés à la marge de l’Europe, le seul fait de leur témoigner de l’attention peut donner de l’influence en soi. L’absence de tous les chefs d’Etat des grand pays de l’UE, autres qu’Angela Merkel, lors du Sommet de lancement du PO en mai dernier à Prague, est le parfait exemple de ce qu’il ne faut pas faire. Pour relancer le processus, la présidence suédoise devrait organiser une troïka présidée par la Suède (présidence de l’UE, haut représentant de la PESC et président de la Commission) pour entreprendre un “listening tour” à travers les six pays voisins. La troïka devrait s’appliquer à comprendre les vulnérabilités économiques et les préoccupations spécifiques en matière de sécurité de chaque Etat voisin, afin de pouvoir adapter l’aide de l’UE à leurs besoins particuliers. Les conclusions de cette troïka devraient également étoffer la réponse de l’UE aux propositions de sécurité faites par Medvedev. Les présidents, premiers ministres ou ministres des affaires étrangères des Etats membres devraient faire l’effort de se rendre dans la région, et d’adopter un discours commun. Les ambassades locales devraient jouer un rôle important dans la coordination des messages politiques envoyés depuis leurs capitales aux pays du voisinage. Afin de renforcer sa diplomatie, l’UE devrait également augmenter la taille des délégations de la Commission au sein des Etats voisins, à travers des offices nationaux secondaires si nécessaire.

Pour renforcer la liberté des médias dans les pays du voisinage, l’UE devrait aussi utiliser le cadre du PO et de son volet société civile, pour aider à la mise en place d’une nouvelle école de journalisme et à la création d’un réseau régional qui octroierait des fonds pour soutenir les médias indépendants. Il s’agirait ainsi d’encourager le lancement de blogs et de start-ups spécialisées dans le domaine de l’Internet, de promouvoir les forums Internet qui peuvent renforcer les réseaux et les échanges d’idées, de soutenir les sites traduisant les médias occidentaux… L’UE devrait aussi penser à offrir une aide financière pour doter la Moldavie et certaines régions de Géorgie d’un accès à l’Internet sans fil, sur le modèle de ce qu’a fait l’Agence des Etats-Unis pour le Développement International (USAID) en Macédoine en 2004-05.

Empêcher les crises politiques et économiques dans la région

La Politique Européenne de Voisinage n’a pas été conçue pour faire face aux urgences dans le domaine économique, mais on attend de l’UE qu’elle conduise les efforts pour aider la région à sortir de la crise actuelle. Afin de ne pas diluer son action, elle devra concentrer son attention sur les Etats où sa politique est susceptible d’avoir le plus d’effets : l’Ukraine, la Moldavie et la Géorgie.

Dans chacun des ces pays, les problèmes sont aussi bien d’ordre politique qu’économique. Dans plusieurs cas, des aides financières du FMI sont disponibles, mais leur octroi a été bloqué par les problèmes politiques. En Ukraine, l’UE devrait essayer de sortir de l’impasse en nommant un envoyé spécial, idéalement un ancien président ou premier ministre. Celui-ci aurait pour mandat de conclure un accord entre les factions opposées, pour permettre aux réformes demandées par le FMI, dans le domaine bancaire et dans celui des pensions, d’entrer en vigueur.

La crise du gaz de janvier 2009 a montré que les gazoducs et oléoducs passant par l’Ukraine n’étaient pas forcément un atout pour le maintien de sa souveraineté, comme Kiev l’avait cru jusqu’alors. Au contraire, ils s’avèrent plutôt des sources de faiblesse, handicapant sa vie politique interne et troublant les relations avec ses voisins. L’UE devrait contribuer à établir un véritable système international de gestion des pipelines, dans lequel l’Ukraine et la Russie – si elle le souhaite, et selon des règles transparentes – partageraient les responsabilités d’entretien ou de contrôle. L’Ukraine demeurerait le détenteur du bail à long terme. L’engagement récent pris par l’UE de financer la modernisation du réseau ukrainien de pipelines[3], constitue un bon début. L’UE doit aller plus loin dans cette direction en prenant diverses mesures : s’assurer de la nomination d’un régulateur indépendant, participer à la construction de l’interconnexion électrique, soutenir l’action de la Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement (BERD) sur des projets de maîtrise de l’énergie, aider au déblocage du potentiel de production nationale de l’Ukraine.

Tout comme l’Ukraine, les difficultés de la Moldavie découlent de l’enchevêtrement de crises politiques et économiques. Les violentes manifestations qui ont suivi les élections d’avril 2009 ont paralysé le système politique au moment même où le pays avait besoin d’une réponse énergique à la détérioration de la situation économique, et le report de nouvelles élections à la fin 2009 risque de prolonger encore la période d’inaction. Moscou, pour sa part, fait toujours preuve de “solidarité” envers les autorités de Chişinău, comme pendant la répression, en lui offrant son soutien économique, ce qui aggrave le danger de voir la Moldavie glisser vers l’autoritarisme. L’UE doit chercher à contrer cette évolution. Elle devrait offrir un soutien macroéconomique à la Moldavie pour l’aider à enrayer son déficit budgétaire croissant, ainsi qu’une feuille de route pour les exemptions de visa, mais cette aide doit se voir conditionnée, de façon ferme, à deux domaines en particulier : la liberté des médias et la réforme de la police. Pour parvenir à coordonner efficacement les leviers politiques et économiques, l’UE devrait fusionner le poste de Représentant spécial en Moldavie avec celui de chef de la Délégation de la Commission européenne, créant ainsi un poste à « double-casquette » pour reprendre le langage institutionnel.

En Géorgie, l’UE devrait commencer à faire pression en faveur de réformes démocratiques, approuvées par le gouvernement et l’opposition, en mettant l’accent sur la liberté des médias et la neutralité des forces de l’ordre. L’UE offre déjà une aide généreuse à travers un fonds de reconstruction post-conflit, mais il est difficile d’utiliser cet argent comme levier, dans la mesure où il est accessible quasiment sans conditions. L’UE devrait donc organiser une table ronde des donateurs visant à promouvoir la libéralisation politique, et à trouver une façon de faire de cette aide une incitation au changement.

Enfin, l’UE pourrait prendre des mesures pour prévenir les différends sur les résultats des élections dans les pays du voisinage. L’UE devrait s’assurer que les missions de surveillance électorale se concentrent sur les problèmes de fond plutôt que sur les combines des jours d’élections. Les missions doivent être menées par des professionnels, tels que des représentants de l’OSCE, plutôt que par des hommes politiques envoyés par les Etats membres. Ces experts doivent aussi travailler en partenariat avec les ONG locales, pour éviter que la Russie et d’autres ne dénoncent des manipulations occidentales (mais L’OSCE devrait aussi se méfier des tentatives russes visant à compromettre sa neutralité de l’intérieur).

Prévenir les crises sécuritaires dans la région

Alors que l’UE et la Russie débutent une réflexion commune sur leur coopération en matière de sécurité, la présidence suédoise devrait convoquer une réunion des “27+6” Ministres des affaires étrangères, afin d’offrir une chance aux pays voisins de contribuer au débat préalablement au sommet de l’OSCE prévu à la fin de l’année. Ceci aurait aussi l’avantage d’attirer l’attention des Etats membres de l’UE sur les régions où le risque d’une explosion de violence existe : le nouveau mantra devrait être la prévention des conflits et non leur gestion.

La Géorgie reste le pays le plus à risque de la région et la priorité de l’UE devrait être d’empêcher une reprise des hostilités avec la Russie. Mais l’UE doit également demeurer engagée sur le long terme : elle doit maintenir en place ses missions de surveillance et exercer des pressions diplomatiques sur les deux parties pour que s’ouvrent des discussions constructives visant à réduire les tensions. L’UE doit éviter de suivre la Géorgie dans ses tentatives d’isolement de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud, dans la mesure où un tel isolement ne contribuera ni à résoudre le conflit ni à stabiliser la situation en termes de sécurité. 

En Crimée, le meilleur moyen, pour l’UE, de contribuer à la baisse des tensions, serait d’établir une délégation de la Commission dans la région. En premier lieu, l’objectif de la mission serait de soutenir la diversification de l’économie locale, en particulier autour de Sébastopol, pour apaiser les craintes des populations locales concernant le départ de la flotte de la Mer Noire.

Comme l’ont proposé Nicolas Sarkozy et Angela Merkel en mars dernier[4], la Moldavie pourrait servir de terrain d’expérimentation pour la nouvelle architecture européenne de sécurité proposée par Medvedev. La situation en Transnistrie est moins inextricable que celle d’autres “conflits gelés” de la région, et elle offre une opportunité de vérifier si la Russie est vraiment prête à coopérer avec l’UE. La force de « maintien de la paix » russe en Transnistrie pourrait, à terme, être remplacée par un bataillon conjoint UE-Russie, tandis qu’un engagement accru de la part du Haut Représentant de la PESC pourrait accélérer les négociations en vue de trouver une solution négociée au conflit.

Bien que la France agisse en tant que médiateur à travers l’OSCE, le rôle de l’UE au Nagorno-Karabakh restera limité tant que l’Arménie et l’Azerbaïdjan ne demanderont pas son intervention. L’UE doit se tenir prête à envoyer des forces de maintien de la paix et à offrir une aide économique si nécessaire, mais en attendant, elle doit soutenir le rôle de la France, ainsi que le dialogue turco-arménien en cours sur l’ouverture de leur frontière commune.

La sécurité et la prospérité de l’UE, ainsi que ses relations avec la Russie sont liées au bien-être des Etats du voisinage oriental. En cette période d’incertitudes économiques et d’essoufflement du processus d’élargissement, l’UE peut sans doute estimer qu’elle a des questions plus urgentes à traiter que de s’occuper de ses voisins indisciplinés. Pourtant, une politique de voisinage volontaire et ciblée, loin d’être uniquement de l’altruisme éclairé de la part de l’UE, relèverait bien davantage de la défense raisonnée de ses propres intérêts à long terme.

[1] Bien que le terme “voisinage” soit utilisé par la Commission européenne en référence aux 16 pays couverts par la Politique européenne de Voisinage, nous nous référons ici aux six pays couverts par le nouveau Partenariat Oriental (PO) : Biélorussie, Ukraine, Moldavie, Géorgie, Arménie et Azerbaïdjan.

[2] La Politique européenne de Voisinage offre un certain degré d’intégration économique et politique aux 16 voisins directs de l’UE en échange de réformes démocratiques. Le PO cherche à s´appuyer sur la PEV pour renforcer les relations bilatérales entre l’UE et les six "voisins orientaux”.

[3] Voir http://ec.europa.eu/external_relations/energy/eu_ukraine_en.htm

[4] Leur article commun, “La sécurité, notre mission commune”, paru dans Le Monde, du 5 mars 2009, affirme qu’une “solution rapide… pourrait être trouvée à la question de la Transnistrie afin de créer une atmosphère différente”.