Il est rare que des conseillers des chefs d’Etat ou de gouvernement reconnaissent ouvertement leur échec. En général, ils portent une responsabilité au moins partielle dans la politique qui a été suivie. Et souvent, ils se donnent, a posteriori, le beau rôle. Les déclarations de Philip Gordon, un universitaire francophone qui a été sous-secrétaire d’Etat à l’Europe puis membre du Conseil national de sécurité des Etats-Unis, sont d’autant plus remarquables. Dans un entretien du Journal du dimanche du 23 janvier, il qualifie de « catastrophique » le bilan de la politique américaine, et occidentale en général, en Syrie.
Après cinq ans de guerre civile, l’intervention des milices pro-iraniennes, l’engagement de la Russie, le développement de l’Etat islamique en Syrie et en Irak, les bombardements de la coalition occidentale, et plus de 250 000 morts, Bachar el-Assad est toujours au pouvoir. Les négociations qui devaient commencer le lundi 25 janvier, sont ajournées. Personne n’est d’accord sur la composition des délégations, notamment celle qui doit représenter l’opposition syrienne, divisée entre laïques et islamistes, Armée de libération de la Syrie et djihadistes.
Philip Gordon pointe les erreurs de l’administration Obama à laquelle il a participé. La première est d’avoir sous-estimé la capacité de résistance du président syrien. Le slogan « Assad doit partir », partagé par Washington, Paris et les alliés arabes sunnites de l’opposition, était sans rapport avec les moyens que les Occidentaux étaient disposés à mettre en œuvre pour atteindre l’objectif proclamé. Au contraire, chaque fois que Bachar el-Assad paraissait à bout de souffle ses alliés iraniens et russes accroissaient sans barguigner leur soutien militaire.
La deuxième erreur de Barack Obama a été de fixer une ligne rouge – l’utilisation par le régime de Damas d’armes chimiques – et de ne pas la faire respecter quand une intervention aurait été nécessaire. L’ancien conseiller du président américain ne se fait aucune illusion. Des bombardements ciblés tels que les souhaitait François Hollande n’auraient pas provoqué la chute d’Assad mais le recul d’Obama a entamé la crédibilité des Etats-Unis auprès de leurs alliés… et de leurs adversaires.
Enfin Philip Gordon qui s’affirme partisan d’une ligne plus dure que celle adoptée par le chef de la Maison blanche admet que la fermeté n’aurait sans doute pas eu plus de succès. Le constat est sévère : les Occidentaux n’avaient ni les moyens ni surtout la volonté d’imposer une transition politique sans Assad, telle qu’ils disaient la souhaiter. « Cet objectif [était] admirable mais il n’est pas réaliste », affirme Philip Gordon dans le JDD. Il craint qu’un effondrement brutal du régime, loin d’apaiser le conflit, ne conduise à des violences renouvelées et à une radicalisation de l’opposition. « C’est la tragédie la plus grave depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. Mais cela ne veut pas dire qu’il y a avait une alternative plus simple », conclut-il. Une leçon que les diplomates ont apprise depuis longtemps. Dans les affaires internationales, trop souvent le défi ne consiste pas à opter pour la bonne solution mais à choisir entre des solutions plus ou moins mauvaises.