La réélection triomphale de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis a retenti comme un coup de tonnerre à travers le monde, et notamment en Europe. « L’élection de Donald Trump est un séisme, écrit dans Le Monde la journaliste Françoise Fressoz. La personnalité atypique du nouveau président, la campagne brutale et souvent injurieuse qu’il a menée contre son adversaire démocrate
Kamala Harris, les provocations permanentes auxquelles il s’est livré ont donné à sa victoire un caractère exceptionnel dans l’histoire politique américaine.
Il est vrai que ce n’est pas la première fois que Donald Trump entre à la Maison Blanche. On connaît bien le personnage, son style, ses méthodes. Mais son retour aux affaires après quatre années marquées en particulier par ses démêlés avec la justice pour des délits d’une indiscutable gravité frappe d’autant plus les esprits que le résultat du vote est d’une ampleur inattendue.
« C’est une victoire politique telle que notre pays n’en a jamais vue auparavant », a déclaré le nouveau président. Pour une fois on ne saurait lui donner tort. Donald Trump rafle tous les Etats pivots, ceux dont les grands électeurs font la décision, mais il remporte aussi le vote populaire et ses partisans obtiennent la majorité au Sénat comme à la Chambre des représentants. Loin d’être un « accident de l’histoire », comme on l’a cru naguère, il incarne un mouvement profond de l’Amérique dont on ne soupçonnait pas la force. « Son atout est d’avoir capté l’enjeu dominant de la campagne, qui était le besoin de protection face à l’inflation et à l’immigration, d’avoir mis des mots concrets sur ce que ressentent les électeurs les plus impactés », estime Brice Teinturier, directeur général délégué d’Ipsos. En quatre ans, depuis son échec face à Joe Biden, Donald Trump a réussi à conquérir le Parti républicain, dont il a éliminé l’aile modérée, incarnée notamment par la dynastie Bush, en se réclamant d’une droite radicale en phase avec les sentiments profonds d’une majorité d’électeurs.
Les ressorts de l’idéologie trumpienne
Le trumpisme ? Les définitions ne manquent pas, axées, entre autres, sur le nationalisme et l’autoritarisme, deux des principaux ressorts de l’idéologie trumpienne. Retenons celle de Françoise Fressoz : « Un conservatisme combinant libéralisme économique et isolationnisme, un populisme mariant défense bien comprise des intérêts des milliardaires et dégagisme radical visant notamment les élites intellectuelles, un virilisme faisant l’éloge de la force dans un monde de plus en plus dominé par elle ». Donald Trump combat les valeurs des démocraties libérales, à l’intérieur, où il remet en cause l’Etat de droit, comme à l’extérieur, où il sympathise avec les dictateurs les moins fréquentables, à commencer par Vladimir Poutine. L’un de ses thèmes favoris, la lutte contre l’immigration, rencontre l’assentiment de nombreux Américains. Son incontestable talent d’orateur lui permet de rallier à sa cause tous ceux qui se sentent abandonnés ou méprisés.
Les idées de Donald Trump ne sont pas nouvelles, même si le nouveau président les pousse à l’excès face à des interlocuteurs enthousiastes. Elles sont présentes en Europe dans le discours des partis d’extrême droite ou de la droite radicale, qui ne cessent de progresser sur le Vieux Continent. On pourrait dire que les élections américaines confirment et prolongent les résultats des élections européennes, qui ont mis en évidence la force de ces courants populistes dont Marine Le Pen est l’une des figures, avec Giorgia Meloni en Italie, Viktor Orban en Hongrie et les dirigeants d’un nombre croissant de pays de l’Union européenne. La personnalité hors normes de Donald Trump donne à ces idées un relief particulier, d’autant plus saisissant qu’elles affectent la première puissance mondiale. Tous ces partis, que ce soit en Amérique ou en Europe, présentent certes des différences, notamment en politique étrangère, mais ce qu’ils ont en commun est de marginaliser la vieille droite au profit d’une droite extrême.
Les responsabilités de la gauche
Face à ces partis réactionnaires la gauche pourrait offrir une solution de rechange si elle était unie sur un programme crédible. Or aux Etats-Unis comme en France, elle est divisée entre une aile radicale et une aile modérée. En France, la rivalité entre les amis de Jean-Luc Mélenchon et les tenants d’une social-démocratie rénovée empêche la construction d’une force cohérente. Aux Etats-Unis, selon la politologue Laurence Nardon dans une tribune du Monde, Kamala Harris « n’a pas assez clairement pris ses distances avec la gauche du parti », notamment sur l’immigration ou sur la question des personnes trans. « Le parti démocrate ne peut faire l’économie d’un douloureux examen de ses propres responsabilités dans l’échec cuisant qui vient de lui être imposé », estime la politologue, qui souligne « l’absence, depuis près de dix ans, d’une véritable sélection de nouveaux talents politiques » au sein du parti. En France, la rénovation du parti socialiste, en terme d’idées comme en terme d’hommes (ou de femmes), est également nécessaire pour tenter de réduire l’influence de l’extrême droite. Il en va de même dans la plupart des pays européens. De part et d’autre de l’Atlantique, il ne suffit pas de dénoncer la droite radicale, il faut aussi lui opposer un contre-projet capable de mobiliser la gauche.