Peu de temps déjà après le retour au pouvoir à Berlin de la démocratie chrétienne en 2005 et après l’élection de l’Allemand Joseph Ratzinger à la tête de l’Eglise Catholique (souvenez-vous du titre de la Une de « Bild » : Wir sind Papst – Nous Sommes Pape), Angela Merkel a montré une certaine distance par rapport au représentant suprême des catholiques. A un tel point qu’au sein de la démocratie chrétienne qu’elle dirige, s’est formé un « cercle de catholiques engagés ». Or la démocratie chrétienne et les catholiques engagés étaient en symbiose parfaite pendant toute l’histoire de la République Fédérale. Pire encore pour les « catholiques engagés », la dirigeante de la démocratie chrétienne s’est permis de critiquer le pape en public. Lorsque Benoît XVI a invité les « Frères Pie XII », dont l’évêque Williamson, à rejoindre l’église catholique, Angela Merkel a fait part de son étonnement de voir le pape allemand accepter, avec l’évêque Williamson, quelqu’un qui avait, dans une interview télévisée, nié l’holocauste et qui continue à le nier. En tant que chancelière allemande, dit-elle, elle ne pouvait garder le silence.
La prudence d’Angela Merkel
Cette critique publique du pape n’a pas plu aux « catholiques engagés ». Depuis, on n’a pas entendu Angela Merkel parler beaucoup d’affaires de l’Eglise. Par exemple, elle a plutôt gardé le silence devant les reproches faits à l’Eglise catholique (non pas à l’Eglise protestante, mais à des institutions laïques également) concernant des abus sexuels ou corporels, par des prêtres, sur de jeunes garçons, dans leurs institutions scolaires. Pendant que la ministre de la justice, Mme Leutheusser-Schnarrenberger du FDP, s’est vue attaquée par les plus hauts représentants de l’Eglise catholique en Allemagne, parce qu’elle avait osé demander à l’Eglise de porter à la connaissance des services de la justice tout cas d’abus d’enfant commis dans ses enceintes, Angela Merkel a simplement exprimé sa confiance en la capacité d’instruction et d’information des instances de l’Eglise. Elle a donné le feu vert à l’établissement d’une « table ronde » en la matière, avec participation du gouvernement fédéral et de l’Eglise catholique. Est-ce que sa prudence, plus grande cette fois, va payer ? Ce n’est pas sûr. Beaucoup de catholiques ont quitté l’organisation de leur Eglise à cause des réactions peu satisfaisantes de ses représentants.
Une ministre d’origine turque
Et maintenant la première ministre musulmane de la démocratie chrétienne. Sa nomination il y a quelques jours par Christian Wulff, le ministre-président de la Basse Saxe, Angela Merkel l’avait saluée comme un « signal merveilleux ». Puis, dans une interview avant sa prise de fonction, la fille d’un travailleur immigré turc de Hambourg s’est prononcée contre le crucifix dans les salles de classe dans les écoles publiques, mais aussi contre le foulard des filles musulmanes en classe. Et tout de suite, les défenseurs des valeurs traditionnelles de la démocratie chrétienne ont hurlé. Mme Özkun a renoncé et déclaré publiquement qu’elle accepterait les idées de la démocratie chrétienne – nonobstant le fait que la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe avait déclaré non-constitutionnelle toute obligation légale pour les écoles de suspendre le crucifix dans les salles de classe. Cette fois, Mme Merkel ne s’est pas prononcée sur la controverse.
Depuis dix ans, Angela Merkel se trouve à la tête de la démocratie chrétienne de l’Allemagne. Elle l’a changée beaucoup, comme le pays lui-même a changé. Mais elle n’a jamais fait et elle ne fait toujours pas partie intégrante de la « famille » de cette démocratie chrétienne occidentale, plutôt catholique et masculine. Elle n’a jamais fait et elle ne fait toujours pas partie des réseaux établis à l’époque par les jeunes qui ne le sont plus aujourd’hui. Le débat sur le crucifix, sur le pape, sur l’église catholique, c’est aussi le débat sur l’âme de la démocratie chrétienne que beaucoup de ses fidèles voient disparaître.