L’Amérique n’est pas aimée par les peuples du monde arabe, même si nombre de leurs dirigeants sont de fidèles vassaux de Washington. Il en va tout autrement en Iran qui vit depuis plus de trois décennies dans une hostilité ruineuse. Les Perses, pas leur régime, sont pratiquement les seuls à aimer l’Amérique, son mode de vie, sa musique et ses autres produits culturels. Beaucoup de familles iraniennes ont des parents en Amérique. Rien qu’à Los Angeles, surnommé « Tehrangeles », vivent au moins 600 000 Iraniens. Les échanges de visite sont nombreuses, la tentation d’émigrer des jeunes Iraniens est grande. Il n’y a aucune hostilité héréditaire entre les Etats-Unis et l’Iran.
D’un point de vue historique la dégradation des relations est une exception. Et pour la première fois il y a maintenant, grâce à la nouvelle politique du président Hassan Rohani et le changement d’appréciation des intérêts américains au Moyen-Orient par Barack Obama, l’occasion de régler le différend.
Les ennemis héréditaires ont toujours été pour les Iraniens les Britanniques. Ils ont d’abord divisé le pays en sphères d’influence avec le tsar et se sont assuré l’accès au pétrole perse. Les Iraniens n’ont reçu que des pourboires. Lorsqu’un shah qui était en faillite chronique a confié à un Britannique le lucratif monopole du tabac, un boycottage de la cigarette s’est étendu à tout le pays, auquel même les femmes du souverain ont participé. La protestation à propos du tabac est devenue un mouvement pour une Constitution, la révolution de 1906 et la création du premier Parlement.
Quel visage aurait l’Iran, à quoi ressembleraient les relations avec les Etats-Unis si le seul chef de gouvernement ayant eu une légitimité démocratique dans l’histoire du pays, Mohammed Mossadegh, n’avait pas été renversé par un coup d’Etat mis en scène par la CIA et les Britanniques, parce qu’il avait nationalisé le pétrole ? Selon un excellent biographe anglais de Mossadegh, l’Iran, sous sa direction, se serait tourné vers l’Occident en matière de politique étrangère ; il aurait été lié par son pétrole au monde capitaliste et par une amitié vigilante aux Etats-Unis. Mais il aurait aussi été correct avec son puissant voisin soviétique du nord. En politique intérieure, l’Iran aurait été démocratique dans une mesure inimaginable dans un Moyen-Orient de l’époque marqué par les dictatures et les semblants de démocratie. Appliqué à aujourd’hui c’est plus ou moins le pays que souhaite Rohani.
Le putsch contre Mossadegh et un quart de siècle de soutien américain massif à la dictature du shah sont les racines de ce grand désaccord. A cause de cale, la révolution islamique de 1979 a pris dès le début un tour anti-américain. Les Iraniens ont écrit le chapitre suivant avec l’occupation de l’ambassade américaine à Téhéran par des étudiants radicaux et la prise en otages des diplomates américains. Jusqu’à aujourd’hui, peu nombreux sont les Iraniens qui comprennent ces événements représentant l’aventure la plus coûteuse de leur histoire. Les Etats-Unis qui étaient jusqu’à ce moment-là prêt à trouver un modus vivendi avec la République islamique anticommuniste, sont devenus des ennemis irréconciliables. Ils ont soutenu l’agression de l’Irakien Saddam Hussein et lui ont livré des informations sur le déploiement des troupes iraniennes, alors que le dictateur de Bagdad avait déjà tué par l’utilisation d’armes chimiques des milliers de gardiens de la révolution arrivés aux portes de Basra. A l’époque, il n’était pas question de « ligne rouge ». Saddam Hussein passait pour un rempart laïque contre la marée verte avant d’être transformé en « nouvel Hitler ». Trois présidents américains cherchèrent non pas un arrangement avec Téhéran mais un changement de régime.
Les Iraniens se sont sentis très mal traités par un système mondial dominé par les Américains. Le Conseil de sécurité de l’ONU n’a pas considéré l’agression irakienne comme une menace contre la paix mondiale. Il a fallu plus de deux ans pour qu’il exige un retrait des troupes des deux côtés. Au contraire, lorsque Saddam Hussein a attaqué le Koweit une résolution du Conseil de sécurité a exigé un retrait sans condition des troupes irakiennes dans les douze heures.
Les Iraniens en ont tiré une leçon : ils ne peuvent pas compter sur l’ONU, les conventions de Genève ou l’opinion publique internationale, mais seulement sur eux-mêmes. L’objectif suprême du régime comme de la grande majorité de la population non politisée du pays est désormais d’éviter que l’Iran soit entrainé par une intervention militaire américaine dans la situation catastrophique des voisins irakiens ou afghans. La question est aujourd’hui de savoir combien de temps encore les traumatismes du passé et non la raison détermineront les relations. L’Iran a besoin de l’Amérique et de l’Occident pour sortir de sa misère économique. Téhéran est disposé à payer un prix élevé pour obtenir la levée des sanctions. Ce serait une faute politique de ne pas saisir cette chance.