Boulevard-Extérieur : Quelle place attribuer à Vladimir Poutine dans l’histoire de la Russie ?
- Le pays a été fondé sur la mythologie de la Sainte Russie. Il était le royaume orthodoxe sur terre. Le tsar Ivan le Terrible se proclamait héritier de Rome et de Byzance et menait une politique mégalomaniaque. Avec la révolution de Pierre le Grand, les Russes ont essayé de construire un Etat moderne sur le modèle de la France de Louis XIV et de la Prusse. Puis la tsarine Catherine a créé une petite couche de nobles à l’européenne. Ces nobles ont été éduqués dans les écoles militaires. Ils étaient quelques milliers sur le radeau instable d’un pays resté arriéré.
Trois tendances fondamentales sont apparues.
Une tendance libérale de gens qui se sont mis au service de cet Etat rationnel. Un Etat policier qui se développe par le haut. On peut les dire libéraux parce qu’ils ne sont pas écrasés par la folie religieuse. Mais la grande majorité de la population, qui vit dans des villages reculés, ne veut pas d’eux.
La deuxième tendance libérale est dite occidentaliste. Elle n’a pas de cohérence. Elle refuse le religieux mais elle dérive vers le socialisme d’une manière qui lui fait retrouver le sectarisme russe. C’est le léninisme.
La troisième, ce sont les slavophiles qui veulent maintenir le mythe médiéval de la Sainte Russie.
- Poutine emprunte un peu aux trois
- En effet. Un point sur lequel tout le monde est d’accord c’est l’empire, l’empire russe. Lénine est contre l’empire dans un premier temps mais il le reconstruit rapidement. Il injecte du nationalisme dans le communisme dès 1920. Et une partie de l’armée blanche se rallie aux bolchéviks au nom du nationalisme après la prise de Kiev par les Polonais.
Ce qui caractérisait l’empire russe avant 1914, c’est qu’il n’avait pas de frontières naturelles. Il n’avait pas de limites fixées. Ce sont les terres orthodoxes ou les Slaves. Vis-à-vis de l’Europe, on se sert d’arguments slavophiles, du côté de la Chine, les arguments sont eurasiens. Ces deux idéologies sont encore vivantes et Poutine joue avec les deux.
- Poutine est donc le fruit de cette histoire et le représentant de cette tradition ?
- Oui. Mais ça ne marche pas sans à-coups. Les Russes sont aujourd’hui un peuple de rentiers politiquement inertes. Mais en même temps, ils sont formés par un système d’enseignement d’excellence qui continue à exister. Et ces gens éduqués ne peuvent pas supporter qu’on les prenne pour des idiots. Or c’est ce qu’a fait Poutine quand il a annoncé le tour de passe-passe avec Medvedev. Il a entamé sa légitimité.
- Il va chercher à la restaurer. Comment ?
- Que peut-il faire ? Entonner des accents nationalistes ? C’est déjà le cas. Avoir recours à la répression ? Sans doute s’il sent son pouvoir menacé sérieusement. Se tourner vers une aventure extérieure ? Ce serait classique.
- Difficile, dans le nouveau contexte européen
- Depuis le premier jour, la politique de Poutine vise à refaire l’URSS ou quelque chose qui pourrait lui ressembler. Son but est d’éviter l’européanisation des anciennes républiques soviétiques, notamment de l’Ukraine. Avec les pays baltes, il n’a pas réussi. Pour lui, il est essentiel d’éviter des révolutions de couleur chez ses voisins.
- L’intégration des pays baltes dans l’Union européenne et dans l’OTAN est un sérieux obstacle à cette reconquête
- Certes mais l’Europe apparait totalement désarmée, au sens propre comme au sens figuré. La Russie mène une diplomatie pétrolière qui marche très bien, notamment vis-à-vis de l’Allemagne, mais pas d’elle seule. Poutine vient d’annoncer un programme de réarmement complètement délirant. Pourquoi ? Une explication simple : la Russie n’a jamais été capable de produire que des armes. Pourquoi ne pas continuer ? Mais à qui cette armée, largement obsolète, peut-elle faire peur ? Pas aux Etats-Unis, pas à la Chine mais à « l’étranger proche » et à l’Europe qui n’a plus de soldats mais seulement des Abbé Pierre en uniforme.
Autrement dit, on ne peut pas exclure le scénario suivant : une bonne campagne en faveur des russophones de Lettonie, supposés soumis à des vexations, avec une Europe qui dénoncera leur « situation épouvantable », ce qui créerait un moment favorable à une « aide fraternelle » de la Russie. C’est un scénario pessimiste mais il ne doit pas être exclu. Or personne, en Europe ni aux Etats-Unis, ne s’en soucie.
Propos recueillis par Boulevard-Extérieur