Union européenne : six mois, six dossiers

Pendant les six mois de sa présidence européenne - ou moins s’il n’est pas réélu - Emmanuel Macron va tenter de donner à l’UE un nouvel élan. Appelé à fixer l’ordre du jour du Conseil, à conduire les négociations entre les Etats, à user de son pouvoir d’influence, il soumettra à ses partenaires plusieurs dossiers difficiles, allant de la défense à l’économie en passant par la transition climatique et la régulation numérique. Autant de tests qui permettront de mesurer le succès, ou non, de son mandat européen.

La présidence française de l’Europe
Aris OIKONOMOU/POOL/AFP/Les Echos

Depuis le 1er janvier la France exerce la présidence semestrielle de l’Union européenne ou, plus exactement, du Conseil de l’UE, l’une des institutions qui se partagent, avec la Commission et le Parlement, la direction de l’Europe. C’est l’occasion pour Emmanuel Macron de donner des preuves concrètes de son engagement européen en contribuant par ses actes à la construction de cette « Europe puissante » et « pleinement souveraine » à laquelle il aspire. Le Conseil de l’UE est un rouage important des institutions européennes. Il adopte les directives, coordonne les politiques, dirige l’action extérieure. Celui qui le préside dispose d’un bon levier pour agir.
Il ne faut pourtant pas s’illusionner sur ses pouvoirs. L’UE est en effet une association d’Etats égaux en droit dans laquelle les décisions se prennent collectivement, aucun pays ne pouvant imposer ses vues aux autres. De plus, pour les sujets soumis au Conseil à l’initiative de la présidence, leur aboutissement dépend de l’état d’avancement des dossiers. Enfin la création par le traité de Lisbonne du poste de président permanent du Conseil européen, occupé par l’ancien premier ministre belge Charles Michel, réduit encore le rôle propre du président tournant.

Sarkozy et la Géorgie

Dernier président français de l’UE au second semestre 2008, Nicolas Sarkozy avait su, avec son énergie et sa volonté habituelles, tirer parti de sa position pour affirmer son leadership européen. Emmanuel Macron pourrait s’inspirer de son l’exemple. Mais il est vrai que Nicolas Sarkozy bénéficiait de deux avantages : d’une part, le poste de président permanent, qui aurait pu lui faire de l’ombre, n’existait pas encore ; d’autre part, il a dû gérer, face à Vladimir Poutine, la crise géorgienne, qui le mettait personnellement en valeur. Les conditions dans lesquelles Emmanuel Macron assure la présidence sont moins favorables. Elles le sont d’autant moins que l’élection présidentielle en France va perturber son mandat à la tête de l’UE et, éventuellement, en limiter la durée.
Par-delà les têtes de chapitre du vaste programme annoncé le 9 décembre par le chef de l’Etat, il lui faudra, pour que sa présidence soit une réussite, se prévaloir de résultats précis sur quelques dossiers-clés. Sous la présidence allemande, au second semestre 2020, la chancelière Merkel a obtenu un succès jugé historique en faisant adopter, grâce à son obstination, son savoir-faire, son art du compromis, le fameux plan de relance de 750 milliards d’euros assis sur un endettement commun. Si on a pu lui reprocher une certaine frilosité dans sa vision de l’Europe, par contraste avec les grands élans d’Emmanuel Macron, on a dû admettre que ce plan de relance répondait bien à la devise de la présidence allemande de l’UE : « Tous ensemble pour relancer l’Europe ». Comment faire pour que la présidence française contribue à faire de 2022, comme l’a souhaité Emmanuel Macron dans ses vœux du 31 décembre, « l’année d’un tournant européen » ?

Quelques dossiers-clés

Voici quelques-uns des thèmes sur lesquels le président du Conseil de l’UE sera appelé à conduire les négociations entre les Vingt-Sept et à user de son influence pour conclure les débats.
Le premier est celui de la défense européenne, ce vieux serpent de mer qui continue de diviser les Etats membres. Un nouvel instrument doit être adopté si tout va bien : on l’appelle la « boussole stratégique ». De quoi s’agit-il ? Emmanuel Macron la définit comme « un livre blanc européen de défense et de sécurité, qui à la fois présentera l’état des menaces et fixera nos choix collectifs, nos orientations, nos ambitions ». Lancée sous présidence allemande, cette initiative, portée par le haut représentant pour les affaires étrangères et la sécurité Josep Borrell, doit se concrétiser sous présidence française. Sa vocation, selon Emmanuel Macron, sera de « définir véritablement une souveraineté stratégique européenne », parallèlement à l’appartenance, ou non, à l’OTAN, et de fixer des lignes communes, notamment en matière d’industrie de défense et dans les nouveaux espaces de conflictualité (mer, spatial, cyber). Un (petit) pas de plus vers une défense commune.
Le second thème est celui des frontières, une question qui soulève les passions. L’objectif est triple : réformer l’espace Schengen en mettant en place un « pilotage politique », créer un mécanisme de soutien d’urgence en cas de crise, faire avancer le « paquet migratoire européen », c’est-à-dire l’organisation d’une gestion harmonisée des migrations, toujours en attente. Il faudra au président beaucoup d’habileté et beaucoup d’autorité pour sortir de l’impasse ce dossier controversé.

Nouvelles règles budgétaires

Troisième thème, dans le cadre d’un « nouveau modèle européen de croissance », une modification des règles budgétaires, résumées par les fameux critères de Maastricht. « Durant la pandémie, nous avons mis entre parenthèses l’application de nos règles budgétaires communes, a rappelé Emmanuel Macron le 9 décembre. Nous devrons revenir à des règles budgétaires qui seules permettent la convergence entre nos économies, surtout pour celles et ceux qui partagent une monnaie commune. Mais nous ne pouvons pas faire comme si rien ne s’était passé ». Pour assurer le développement de filières industrielles fortes et innovantes, des investissements nouveaux seront nécessaires. « Ces investissements nouveaux, conclut le président français, nous devons les intégrer dans notre cadre budgétaire. » Un nouvel équilibre devra donc être trouvé au terme de négociations qui s’annoncent difficiles.
Quatrième thème, la régulation des géants du numérique. Après l’accord international sur la taxation des multinationales, deux textes seront sur la table du Conseil : l’acte pour le marché numérique, ou DMA, qui vise à éviter, selon Emmanuel Macron, que les géants du numérique deviennent « des monopoles sans règles », et l’acte pour les services numériques, ou DSA, qui établit la responsabilité des grandes plate formes pour les produits qu’elles vendent et les contenus qu’elles diffusent. Une rude discussion en perspective.
Taxe carbone aux frontières
Cinquième thème : la mise au point d’un mécanisme d’ajustement carbone au frontières de l’Europe. Cette « taxe carbone » tend à combler l’écart entre les productions nationales soumises aux normes de « décarbonation » et l’importation de biens venus de pays qui ne font pas le même effort. « Il s’agit d’une urgence absolue », a déclaré Emmanuel Macron, en soulignant que la transition écologique ne doit pas sacrifier la compétitivité.
Sixième et dernier thème : la fixation de salaires minimaux dans tous les pays de l’UE, non pas à la manière d’un SMIC européen mais d’une façon qui « tire tous les bas salaires vers le haut grâce à un salaire minimum décent ». Les discussions sont déjà assez avancées, estime Emmanuel Macron, pour laisser espérer un accord sur une directive. Avec la recherche de l’égalité salariale entre hommes et femmes, elle renforcera le volet social des politiques européennes.
Si la présidence française parvient, avec l’appui de ses alliés allemands et italiens, à clore quelques-uns de ces dossiers ou, au moins, à les faire sérieusement progresser, on pourra dire qu’elle a atteint ses principaux objectifs. Six dossiers en six mois, ou peut-être moins : c’est le nouveau défi qui s’offre au président français.