La force de symbole représenté par Vaclav Havel et son itinéraire de vie expliquent l’émotion qui se manifeste au moment de sa mort, non seulement en République tchèque mais dans le monde. Par son attitude sous le régime communiste, il est devenu le symbole de la possibilité de la résistance, y compris dans les situations que les plus réalistes considèrent comme désespérées. Pour lui, l’engagement dans les conditions du totalitarisme n’était pas une question de calcul, qui aurait découragé tout homme « raisonnable », mais une question de conviction.
L’idéalisme rejoint ici le réalisme. Les grands réalistes qui jusqu’en 1989 croyaient que le monde était immuable, que la division de l’Europe entre les deux blocs était irréversible, se sont retrouvé dépassés par la vague de 1989, qui a aboutit à la chute du mur de Berlin et à l’effondrement du bloc soviétique. C’est cette histoire de résistance dans les situations les plus bloquées qui explique l’écho de Vaclav Havel. Cette histoire est irréductible à toute classification politique à toute différence de générations. L’accueil réservé à Havel par les étudiants de Sciences-Po, à Paris, l’année dernière, des étudiants qui n’étaient même pas nés en 1989, est édifiant.
Trois idées-forces
Certes, les dissidents de la première heure ont été éclipsés en République tchèque par des gens plus habiles à manier les codes de la politique. Ces derniers temps, il était de bon ton, à Prague, d’ironiser sur ceux qui sont « les amis de la vérité et de l’amour », référence malicieuse à la phrase de Havel, selon laquelle l’amour et la vérité triompheront du mensonge. Cette image était confortée par l’effacement des intellectuels, ex-dissidents, en République tchèque et ailleurs en Europe centrale et orientale. On considérait qu’ils avaient représentés un espoir mais que leur message n’était plus pertinent.
Or, c’est le contraire qui est vrai. Il suffit de voir ce qui se passe aujourd’hui en Russie pour s’en convaincre. Les trois idées fortes de Vaclav Havel sont plus d’actualité que jamais.
La première idée est que la vérité l’emportera sur le mensonge. La politique doit se fonder sur des principes, sinon elle dégénère, se discrédite et laisse la place à la corruption. En oubliant les principes fondamentaux, les hommes politiques nourrissent les phénomènes de rejet de la politique qui se développent en République tchèque et ailleurs.
La deuxième est que la démocratie ne peut pas vivre sans une société civile active. Les institutions, les partis, les élections sont importants mais l’auto-organisation de la société civile n’est pas réservée au temps de la dissidence. Elle est aussi valable dans une démocratie parlementaire qui fonctionne. Il est fondamental que la sphère politique ne se coupe pas de la société civile.
La troisième, enfin, concerne l’Europe. Vaclav Havel était attaché à l’Europe, non comme un européïste naïf, mais à ce qu’elle représente pour la civilisation et pour la crise de civilisation qu’elle traverse. Sa voix contrastait avec l’euroscepticisme de son successeur à la présidence, Vaclav Klaus, pour qui l’Europe est avant tout une machine bureaucratique qu’il n’hésite pas à comparer au soviétisme.
Pour Havel, la crise de l’Europe n’était pas liée seulement à sa division. Elle était partie prenante de la crise de la civilisation moderne dont le communisme était un avatar particulièrement monstrueux.
Au-delà du combat contre le totalitarisme, Havel proposait une réflexion sur l’état de nos sociétés. Il s’élevait contre les illusions de ceux qui croient avoir des solutions techniques à la crise de la civilisation moderne, utilitarisme et financiarisée. Si sa mort est aussi largement ressentie, c’est parce qu’il n’est pas beaucoup de leaders politiques capables de penser l’Europe, non dans son fonctionnement bureaucratique, mais dans sa raison d’être.
Propos recueillis par Boulevard-extérieur.