1991-2021 : le triste bilan du poutinisme

Il y a trente ans le communisme s’effondrait en Europe. L’Union soviétique, qui tenait sous son joug des dizaines de peuples empêchés de se révolter, à commencer par le peuple russe, s’autodétruisait soudainement, faisant naître chez ceux qui subissaient sa tyrannie des espoirs d’émancipation et de liberté. L’une après l’autre, les Républiques de l’immense empire choisissaient de se séparer de la Russie, au premier rang desquelles l’Ukraine et la Biélorussie, ses deux nations sœurs. En Europe centrale, les pays dits satellites, de l’Allemagne de l’Est à la Pologne, en passant par la Hongrie et la Tchécoslovaquie, rompaient avec Moscou. A l’intérieur même de la Russie, la « glasnost » et la « perestroïka » voulues par Mikhaïl Gorbatchev, le nouveau maître du Kremlin, ouvraient la voie vers la démocratie.

Bref le paysage politique était totalement bouleversé par la fin de la guerre froide et le nouveau cours de l’histoire russe. Pourquoi cette subite explosion ? Par rejet d’une dictature à bout de souffle. « La société russe étouffait dans le carcan du système de commandement administratif condamné à servir l’idéologie et à porter le terrible fardeau de la militarisation », expliquait Mikhaïl Gorbatchev dans son discours de démission le 25 décembre 1991. « Course aux armements, soutien coûteux à ses alliés et à ses satellites, guerre en Afghanistan : Moscou ne pouvait plus se permettre tout cela », souligne dans un récent entretien donné au Monde l’écrivain russe Boris Akounine. « Ce qui explique, ajoute-t-il, le changement de la politique internationale du Kremlin ainsi que de sa politique intérieure ».

Le vieux monde est de retour

Ce changement a duré dix ans, sous la présidence de Boris Eltsine. En 2021, sous la férule de Vladimir Poutine, le vieux monde est de retour : la continuité semble l’emporter sur le changement. L’ancien officier du KGB devenu président de la Russie a systématiquement remis en cause les acquis de la « révolution » de 1991. De sorte que la société russe souffre comme autrefois, pour reprendre les mots de Mikhaïl Gorbatchev appliqués à la Russie d’avant, d’un « système de commandement administratif » mis au service d’une idéologie et du « terrible fardeau de la militarisation ». Autrement dit, la Russie de 2021 est gouvernée, comme l’ancienne Union soviétique, par un régime autoritaire qui impose son idéologie liberticide, fondée sur un nationalisme exacerbé et sur le dénigrement de l’Occident, et qui renoue avec la militarisation d’antan.

Ce n’est pas tout à fait le retour à l’époque soviétique mais le poutinisme au pouvoir en offre un ersatz assez ressemblant. Sur le plan intérieur, les élections sont truquées, les libertés confisquées et la démocratie bafouée : la répression féroce exercée contre tous ceux qui contestent l’autorité du président russe rappelle le temps du goulag et le traitement indigne infligé à Alexeï Navalny, opposant numéro un du régime, persécuté dans la prison où il a été brutalement jeté, remet en mémoire la cruauté des occupants successifs du Kremlin avant l’arrivée salvatrice de Mikhaïl Gorbatchev. L’idéologie communiste s’est éteinte, celle qui l’a remplacée n’est pas moins attentatoire à l’Etat de droit et aux valeurs démocratiques : la « voie russe » défendue par Vladimir Poutine est celle d’un despotisme affirmé qui reçoit l’approbation de tous les partis de la droite radicale en Europe. De l’extrême gauche à l’extrême droite, la Russie a gardé le même mépris pour les libertés publiques et les droits de l’homme.

Reconstituer l’ancienne URSS

Sur le plan international, Vladimir Poutine s’est engagé dans une confrontation avec l’Occident, qui semble annoncer une nouvelle guerre froide. C’est d’abord à l’OTAN qu’il s’en prend et au projet qu’il lui prête d’installer ses troupes dans le voisinage immédiat de la Russie. A ce voisinage appartiennent précisément les anciens territoires de l’Union soviétique dont le président russe entend reprendre le contrôle. L’Ukraine sert aujourd’hui de test, au moment où Moscou, après avoir annexé la Crimée et mis le Donbass à feu et à sang, masse des forces à ses frontières et menace d’intervenir. Avant l’Ukraine, qui lui échappe encore, la Russie a repris pied en Géorgie, où elle a conquis deux provinces. Elle s’est invitée dans le conflit du Haut-Karabakh entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. La Biélorussie est revenue dans son giron. Vladimir Poutine tente ainsi de reconstituer sous sa tutelle une partie de l’ancienne URSS. Sans parler de ses avancées au Moyen-Orient et en Afrique.

Le modèle poutinien, autocratique à l’intérieur, expansionniste à l’extérieur, ne manque pas de sympathisants, surtout hors de Russie. Ceux-là considèrent qu’un régime « illibéral », basé sur la force, est nécessaire, en Russie comme ailleurs, pour répondre aux besoins des peuples et pour donner aux Etats les moyens de la puissance sur la scène internationale. C’est le chemin qu’a décidé de suivre Vladimir Poutine. Il repose sur l’oppression interne et l’agression externe. La Russie reprend en partie les vieilles méthodes du communisme. Elles n’ont apporté, on le sait, que drames sanglants et douloureux échecs. Triste bilan du poutinisme au moment où le trentième anniversaire du bouleversement de 1991 invite à la réflexion. Les démocraties libérales ont fait un autre choix. Elles n’ont pas l’intention d’y renoncer.