Réactionnaires de tous les pays...

Qu’on lui donne le nom d’extrême droite, de droite extrême, de droite radicale, de droite nationaliste ou de droite populiste, le mouvement ultraconservateur qui se mobilise depuis quelques années aux quatre coins du globe pour défendre les valeurs des sociétés traditionnelles ne cesse de gagner du terrain. La bonne performance, aussi inattendue qu’inquiétante, du président sortant Jair Bolsonaro au premier tour de l’élection présidentielle au Brésil, la large victoire de Giorgia Meloni et de son parti Fratelli d’Italia aux élections législatives en Italie, la violente diatribe de Vladimir Poutine contre les Etats-Unis et l’Europe pour justifier l’agression de la Russie en Ukraine montrent, après d’autres signes préoccupants, la persistance, de part et d’autre de l’Atlantique, d’une offre politique qui rejette les acquis de la modernité et de son individualisme exacerbé.

Bien entendu, ce qui se passe au Brésil n’est pas identique à ce qui a lieu en Italie ou en Russie. La droite extrême – appelons-la ainsi – s’inscrit dans des traditions qui varient selon les pays ou les continents. En Amérique latine, le populisme est une réalité politique qui a marqué l’histoire du sous-continent et qui contribue à façonner le « bolsonarisme ». En Europe, les idées de Giorgia Meloni se rattachent au passé fasciste de l’Italie, même si la future présidente du conseil a rompu officiellement avec l’héritage de Mussolini et renie toute filiation. En Russie, le « poutinisme » entretient un rapport ambigu avec les régimes qui l’ont précédé, qu’il s’agisse du temps des tsars ou de l’époque du communisme. On pourrait citer d’autres exemples, dont celui du « trumpisme » aux Etats-Unis, qui présente avec ces mouvements des affinités évidentes tout en relevant d’un autre récit national.

En dépit de leurs différences, ces forces politiques en constante progression ont en commun des thèmes qui les rassemblent sous la bannière d’une vision passéiste de l’histoire et de la société. Du « Make America Great Again » de Donald Trump à l’exaltation de l’empire russe par Vladimir Poutine, de l’éloge de la dictature brésilienne par Jair Bolsonaro au « Dieu, patrie, famille » de Giorgia Meloni, c’est la nostalgie d’un « âge d’or » qui domine l’idéologie des nouveaux réactionnaires.

De la décadence au « grand remplacement »

Cette nostalgie s’accompagne d’une peur de la décadence, qui suscite la méfiance envers le présent et la suspicion envers l’avenir. Elle s’exprime par la crainte de l’effondrement démographique et l’angoisse du « grand remplacement », c’est-à-dire l’absorption des populations dites « de souche » par une immigration incontrôlée. Elle se manifeste aussi par la défense opiniâtre de l’identité nationale, par l’éloge passionné du christianisme et par la détestation de tout ce qui menace la famille traditionnelle, comme l’avortement, l’homosexualité ou la licence sexuelle. Enfin – et c’est sans doute son effet le plus dangereux – elle se traduit, au nom de l’anti-individualisme, par la mise en question de l’Etat de droit et des libertés démocratiques.

La droite extrême, en Amérique ou en Europe, partage, à des degrés divers, ces convictions. Celles-ci ne sont pas nouvelles, elles irriguent depuis de longues années la pensée de minorités plus ou moins actives, en France comme ailleurs. Ce qui est nouveau, c’est, d’une part, que ces idées, diffusées par des idéologues en nombre grandissant, se sont organisées dans des corps de doctrine cohérents qui leur donnent une grande force. Et c’est, d’autre part, leur enracinement croissant dans les sociétés contemporaines, comme l’attestent les succès électoraux de ceux qui les défendent et qui accèdent au pouvoir dans certains pays ou s’en approchent dans d’autres.

La question est évidemment de savoir comment faire reculer ces mouvements, qui ont réussi, avec une incontestable habileté, à se dédiaboliser auprès des opinions publiques. Le combat frontal contre les partis d’extrême droite n’a pas suffi. La dénonciation du populisme à travers les manifestations, les tribunes, les polémiques n’a pas donné les résultats escomptés. Cela ne veut pas dire qu’il faut y renoncer mais force est de constater qu’il a largement échoué. Pourquoi ? Sans doute parce que la cause principale de la progression de cette droite radicale doit être recherchée dans l’effondrement des partis modérés dont elle a conquis la plus grande partie de l’électorat. C’est parce qu’ils n’ont pas su aborder les questions qui ont fait son succès – l’immigration, la sécurité, la famille, la religion, pour n’en citer que quelques-unes – qu’ils lui ont laissé le champ libre. Le temps est venu de reconstruire. C’est la tâche qui attend, parmi d’autres, les libéraux, les démocrates-chrétiens, les sociaux-démocrates.

Thomas Ferenczi