Après avoir tardé à soutenir les révoltes populaires en Tunisie et en Egypte, l’Union européenne n’a pas réussi à se mettre d’accord sur une intervention militaire en Libye pour venir en aide aux insurgés. Il est vrai qu’une résolution des Nations unies, à l’initiative de la France et de la Grande-Bretagne, a donné le feu à une telle intervention et que plusieurs autres Etats européens ont choisi de s’y associer, mais l’Union européenne en tant que telle est restée en retrait face à la crise du monde arabe.
Pour Maxime Lefebvre, diplomate, professeur de relations internationales à l’Institut d’études politiques de Paris, directeur des relations internationales de l’Ecole normale d’administration, l’attitude de l’Europe est « tout à fait typique de la manière dont l’Union européenne fonctionne ». Lorsque tous ses membres sont d’accord, elle peut mener des actions communes et entreprendre éventuellement une « médiation diplomatique ». S’il n’y a pas d’accord entre eux, elle est « paralysée ». Sans doute peut-elle adopter des positions communes, comme elle l’a fait au Conseil européen du 11 mars en condamnant la répression et en appelant le colonel Kadhafi à quitter le pouvoir. Mais cette « base d’accord » n’était pas suffisante pour que l’UE devienne le « fer de lance » d’une intervention collective.
Le jeu entre Paris, Londres et Washington
La crise libyenne a confirmé que l’Union européenne n’est pas encore capable, dans le domaine diplomatique et surtout militaire, d’aller jusqu’au bout de sa logique unitaire. « On peut regretter que les Etats européens ne fassent pas plus d’efforts pour être sur la même ligne et entraîner les autres, dit Maxime Lefebvre. Ce qui est déterminant, c’est le jeu entre Paris, Londres et Washington ». Le diplomate compare l’exemple de la Libye à celui du Kosovo, où l’Union européenne a joué « un rôle d’accompagnement », mais non de « fer de lance ». « Sur le Kosovo, souligne-t-il, on ne pouvait rien faire sans les Américains. C’est la même chose en Libye ».
Maxime Lefebvre reconnaît qu’il faut éviter une « vision idéaliste » de la diplomatie européenne. Celle-ci ne fait pas disparaître les diplomaties nationales mais elle s’efforce de les coordonner. Toutefois l’appartenance à l’Union européenne crée « un cadre commun » qui incline à la recherche du consensus. L’idée dominante est qu’ « on est tous dans le même bateau ». Cela peut expliquer l’évolution de l’Allemagne qui n’a pas suivi la France et la Grande-Bretagne au Conseil de sécurité mais qui est ensuite revenue dans le jeu après avoir constaté qu’elle s’était isolée de ses partenaires européens. Même sur l’Irak, en dépit de profondes divisions, les Etats européens ont tenté de définir des positions communes.
L’Union pour la Méditerranée en échec
Maxime Lefebvre reconnaît que, d’une manière générale, l’Union européenne, face aux crises arabes, a plutôt mal joué. « Ni dans l’action immédiate ni dans la stratégie à long terme, dit-il, on n’a senti que l’Europe existait d’une façon forte ». Les Européens ont donné l’impression de trop s’accommoder des régimes autoritaires au sud de la Méditerranée. Leur stratégie doit donc être repensée dans le cadre de l’Union pour la Méditerranée qui, pour le moment, n’a pas produit beaucoup de résultats.
L’Union européenne a-t-elle oublié les droits de l’homme dans ses négociations avec ses partenaires méditerranéens ? Non, estime Maxime Lefebvre, qui rappelle que les accords avec les pays tiers incluent toujours un dialogue sur les droits de l’homme. Mais on leur demande à la fois des réformes économiques, des réformes politiques et des progrès sur la sécurité. Il n’y aura pas de démocratisation sans réformes économiques, souligne-t-il. Les Américains ont lancé leur initiative pour un grand Moyen-Orient démocratique, note-t-il et « on voit ce que cela a donné ».
L’Europe préfère mettre l’accent sur « une action au jour le jour, patiente, souterraine » qui passe par une consolidation de la société civile. Les Etats du Nord de l’Europe, il est vrai, ont tendance à subordonner les aides financières au respect des droits de l’homme, au nom de la « conditionnalité ».Les Etats du Sud sont « moins regardants ». Ils pensent que de toutes façons il faut aider ces pays pour répondre à leurs besoins.
Atouts et faiblesses de la diplomatie européenne
Maxime Lafebvre estime qu’en plusieurs circonstances l’Europe s’est montrée capable de jouer un rôle diplomatique important. Il mentionne les négociations qu’elle a conduites au cours des dernières années en Macédoine et en Ukraine, ainsi que dans le conflit entre la Russie et la Géorgie. Il salue également les opérations de gestion de crise, civiles ou militaires, menées notamment dans les Balkans et en Afrique, même si elles demeurent limitées dans leur ampleur.
Le diplomate souligne les « atouts » et les « faiblesses » de l’Europe dans le domaine de la politique étrangère. Au nombre des atouts figurent, selon lui, sa puissance économique, commerciale et technologique, ainsi que sa monnaie unique et son modèle d’Etat de droit. Parmi les faiblesses il cite l’insuffisance de ses moyens militaires, sa dépendance aux matières premières et surtout un état d’esprit pessimiste marqué par le sentiment d’un continent vieillissant et qui pèse de moins en moins dans le monde.
[Le texte complet de cet entretien peut être écouté sur le site Internet de Fréquence protestante (www.frequenceprotestante.com). Cliquer sur Programmes et rechercher l’émission Parcours européen du samedi 19 mars 2011].