Surtout ne pas recommencer la calamiteuse expérience de la Lybie. Tel semble être le mot d’ordre de la diplomatie allemande face à une nouvelle hypothèse d’intervention européenne en Afrique sous l’impulsion de la France, cette fois-ci au Mali. En mars 2011, l’Allemagne s’était abstenue au Conseil de sécurité de l’Onu dans le vote sur la résolution 1973 qui autorisait une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Libye et par là-même une intervention armée contre le régime du colonel Kadhafi. Cette position, semblable à celle de la Russie et de la Chine, avait été interprétée comme une rupture de la solidarité occidentale et européenne.
Au Mali, la France a encore l’initiative. Ce pays de l’Afrique sahélienne est coupée en deux : au sud, autour de la capitale Bamako, un territoire contrôlé par un gouvernement mis en place par une junte militaire après plusieurs coups d’Etat ; au nord, des groupes armés rivaux qui détiennent plusieurs otages occidentaux, terrorisent les populations et alimentent des trafics en tous genres dans les pays voisins aux frontières incertaines. Ces groupes, dont les forces sont estimées à quelques centaines d’hommes, n’ont pas les mêmes objectifs. AQMI (Al Qaida au Maghreb arabe) se réclame de l’organisation terroriste internationale et veut instaurer la loi islamique dans toute la région. Les Touareg du mouvement Ansar Dine revendiquent depuis longtemps l’indépendance. Ils partagent le même intérêt à l’affaiblissement de l’Etat central malien.
François Hollande a fait du dossier malien une de ses priorités dès son arrivée à l’Elysée. Il a accéléré la politique amorcée par Nicolas Sarkozy. La position française se résume en quelques principes : le rétablissement de l’intégrité territoriale du Mali est indispensable à la stabilité de l’Afrique ; les activités terroristes dans le Sahel représentent une menace qui dépasse la région et concerne directement l’Europe ; avec un mandat de l’ONU, la France est prête à aider l’armée malienne et une force africaine à chasser AQMI du Nord-Mali et à restaurer l’autorité de l’Etat central.
La France a réussi à convaincre ses partenaires européens que la situation au Sahel n’était pas une affaire bilatérale. C’est peu dire que le gouvernement allemand n’était pas disposé à soutenir – et a fortiori à participer – à une intervention en Afrique. Quand les Français s’intéressent au continent noir, ils s’exposent toujours au soupçon de néocolonialisme. Les observateurs allemands ne nient pas le danger terroriste, le trafic de drogue ou les impératifs humanitaires quand AQMI viole les femmes, coupe les mains des voleurs supposés ou détruit les mausolées de Tombouctou. Mais ils soulignent aussi qu’Areva, la compagnie nucléaire française, est présente au Mali et tire du pays l’uranium qui alimente ses centrales.
Berlin s’est finalement rangé aux arguments de Paris. Pour plusieurs raisons. Angela Merkel, le ministère des affaires étrangères et celui de la défense ont fait la même analyse que leurs collègues parisiens sur la menace globale représentée par le chaos malien. Les services de renseignements allemands (BND) sont arrivés aux mêmes conclusions que leurs homologues français sur les activités terroristes et les circuits de la drogue qui débordent largement du continent africain vers l’Europe. Conclusions partagés par les Américains même s’ils n’en tirent pas exactement les mêmes conséquences que les Européens.
D’autre part, il était de bonne politique de manifester une cohésion franco-allemande et au-delà européenne alors que l’UE continuait d’être ballotée par la crise de l’euro. Enfin, cette solidarité repose sur une condition qui est aussi un principe de la politique française au Mali : il n’est pas question que les Européens interviennent directement dans la reconquête du Nord-Mali. Leur rôle concerne la formation de l’armée malienne et des soldats de l’Organisation de l’Afrique de l’Ouest, ainsi que le renseignement. Des militaires allemands devraient donc se trouver parmi les quelque 400 formateurs européens, dans les prochaines semaines… ou dans les prochains mois.
La Bundeswehr est aussi sollicitée au Moyen-Orient. Des batteries de missiles Patriotes et les soldats qui les servent vont être déployés en Turquie à la frontière syrienne. Autre foyer de crise où les Européens, et en particulier les diplomates français et allemands, n’ont pas spontanément la même attitude. Là encore, Paris a pris l’initiative, fut-ce avec une grande prudence. La France a été la première à reconnaître la Coalition nationale syrienne (CNS) comme seule représentante du peuple syrien. L’Allemagne – et les Etats-Unis – avaient trouvé la démarche prématurée, avant de s’y rallier, à l’instar d’une centaine d’Etats. Sur le fond toutefois, il s’agit plus de nuances que de véritables divergences. Paris et Berlin sont d’accord pour juger indispensable, et maintenant proche, le départ du pouvoir de Bachir el-Assad alors que les affrontements ont fait 42000 morts depuis un an et demi ; pour ne pas livrer d’armes à la rébellion, notamment dans la crainte qu’elles n’alimentent les groupes djihadistes ; a fortiori pour ne pas intervenir militairement en Syrie et pour travailler à une transition politique qui évite un chaos à l’irakienne après la chute du régime.
Cette proximité franco-allemande sur la Syrie reflète un rapprochement qui date déjà de quelques années sur le dossier plus général du conflit israélo-arabe. Certes la République fédérale d’Allemagne continue de souligner à juste titre sa relation spéciale avec Israël. La solidarité avec Israël fait « partie de la raison d’Etat » de la politique allemande. D’où la position différente sur l’entrée de la Palestine à l’ONU comme Etat observateur non-membre. La France a voté pour, l’Allemagne s’est abstenue, s’attirant toutefois les critiques du premier ministre Benjamin Netanyahou qui aurait souhaité qu’elle vote contre.
La solution du conflit passe par la création de deux Etats. Sur ce principe Paris et Berlin sont d’accord. Les esprits chagrins ajouteront qu’il n’est pas difficile de s’accorder sur un vœu pieux.