Les experts chinois ne le cachent pas. La décision du président Hu Jintao de faire le voyage de Washington, au cours d’une tournée qui le mènera dans plusieurs pays d’Amérique latine, ne fait pas l’unanimité à Pékin. Dans le quotidien de Hong Kong, South China Morning Post, le directeur adjoint du Centre for International Strategic Studies de l’Université de Pékin, Zhu Feng, fait état d’un « débat amer sur la manière de réagir aux violations par les Etats-Unis des intérêts centraux (core interests) de Pékin ».
Par intérêts vitaux, la direction chinoise entend Taïwan et le Tibet, dont l’appartenance à la Chine ne doit pas être remise en cause. Avant d’envoyer Hu à Washington, elle a longuement pesé le pour et le contre. « Un nombre important de responsables ont soulevé des objections à la présence de Hu » dans la capitale américaine, poursuit Zhu Feng, présence considérée comme une « concession unilatérale face à l’atteinte brutale à la « dignité nationale » de la Chine. En vendant des armes à Taïwan et en recevant le Dalaï Lama à la Maison blanche, Barack Obama a offensé les Chinois.
A ces deux outrages essentiels s’est ajoutée ces dernières semaines une liste de griefs moins symboliques mais tout aussi importants. La menace agitée par le Département américain du trésor d’accuser la Chine de « manipuler sa monnaie », ce qui aurait pu entraîner des sanctions commerciales, et la décision de Google de quitter la Chine pour ne plus se soumettre à la censure officielle ont encore pesé sur les relations.
Vis-à-vis des Etats-Unis, et du monde extérieur en général, les experts chinois des relations internationales sont traditionnellement divisés en trois courants. Les internationalistes pensent que la Chine a plus à gagner qu’à perdre de son intégration dans le monde globalisé et qu’elle a intérêt à respecter les règles du jeu, au moins tant que ces dernières lui sont favorables. Les nationalistes, parfois qualifiés de « néocomms », pour néocommunistes, par analogie aux néocons américains, estiment au contraire que la Chine doit se méfier de la mondialisation, insister sur ses propres valeurs et développer un modèle de modernisation capable de faire des émules dans d’autres pays émergents.
Entre les deux, les pragmatistes constituent sans doute le contingent le plus nombreux et ce sont eux qui, en définitive, sont actuellement les plus écoutés par la direction du Parti communiste chinois. Ils constatent que Washington et Pékin ont de nombreux intérêts divergents (Taïwan, Tibet, politique monétaire, etc.) et des désaccords sur des sujets actuels de politique internationale (Iran, et à un moindre degré, Corée du Nord). Mais ils sont aussi conscients que les deux pays ne peuvent pas se passer l’un de l’autre dans beaucoup de domaines. Conclusion : il doit leur être possible d’assumer ces divergences sans exclure toute possibilité de coopération sur des sujets multilatéraux. En d’autres termes, l’ensemble des relations sino-américaines ne doit pas être empoisonné par des différences d’opinion et d’intérêts, fussent-elles fondamentales.
Zhu Feng conclut qu’une fois encore le pragmatisme l’a emporté. Barack Obama et plusieurs de ses collaborateurs ont fait les gestes nécessaires pour donner quelques arguments aux « centristes » du PCC. Ils ont notamment réaffirmé leur adhésion à la politique dite « d’une seule Chine ». Zhu Feng ne cache pas pour autant que les relations avec les Etats-Unis ne sont pas statiques pour autant : « il semble, écrit-il, que les Chinois ont le sentiment qu’ils sont en meilleure position pour obtenir des changements en leur faveur ». La crise notamment est passée par là. La Chine considère qu’elle s’en est mieux sortie que les pays capitalistes avancés et qu’en outre, elle a contribué largement à la relance de l’économie mondiale. Et elle le fait savoir.