La guerre en Ukraine continue sans relâche sous la conduite d’un Poutine apparemment inébranlable. Elle entraîne avec elle son cortège de massacres et de destructions, provoquant l’horreur et la désolation. Des villes entières sont soumises à des bombardements meurtriers, des centaines de cadavres en décomposition jonchent le sol ukrainien, des colonnes de réfugiés cherchent leur salut dans la fuite. Rien n’arrête le président russe. Insensible au concert de protestations qui accompagne dans une partie du monde les tueries dont il est le grand ordonnateur, il va jusqu’à nier l’évidence en accusant de manipulation ceux qui filment et diffusent les images de ces carnages.
Les Ukrainiens résistent avec vaillance, suscitant l’admiration. On se prend à rêver, sans trop y croire, qu’ils parviendront, par leur courage, à repousser l’envahisseur mais on voit bien que les forces sont inégales et l’ambition de Vladimir Poutine inflexible. Ni les appels des dirigeants occidentaux ni les tentatives de négociation entre les deux parties ne semblent donner le moindre résultat. L’offensive russe se déploie sans faiblir. Elle ne connaît pas que des succès, en raison de l’héroïsme des combattants ukrainiens, mais elle s’adapte aux circonstances et ne semble pas près de reculer. On se demande avec angoisse quel peut être le terme de cette montée aux extrêmes.
Du côté ukrainien, le peuple découvre son jeune président, Volodymyr Zelensky, dont les discours rassemblent les volontés et galvanisent les énergies. Toujours présent sur le terrain, malgré les dangers auxquels il s’expose, il incarne avec ardeur le pays en lutte. A ceux qui contestent l’existence d’une nation ukrainienne, il oppose le meilleur démenti en unissant derrière lui sa patrie menacée par Moscou. Du côté russe, Vladimir Poutine prétend, contre toute vraisemblance, extirper le nazisme supposé de son grand voisin et défendre la civilisation de la grande Russie, fondée sur le prestige de l’orthodoxie chrétienne. Deux camps irréconciliables s’affrontent par les armes.
Le risque d’une plus vaste conflagration
Mais au-delà de cette guerre impitoyable entre l’Ukraine et la Russie, qui se joue aux confins de l’Europe et dont on ne voit pas l’issue, ce sont deux puissances internationales qui se combattent désormais, au risque de déclencher une conflagration de plus vaste ampleur. Comme le note à juste titre notre confrère Pierre Haski dans sa chronique de géopolitique sur France Inter, « il y a une double escalade en cours en Ukraine », d’une part celle qui a entraîné les hécatombes de Boutcha, de Mariupol et de Kramatorsk et, d’autre part « l’escalade politico-militaire qui transforme cette guerre d’Ukraine en une confrontation de fait entre un bloc occidental reconstitué et la Russie ».
L’objectif de cette confrontation, voulue par Vladimir Poutine, est « de changer l’ordre international, de modifier le rapport des forces issu de la fin de la guerre froide il y a trente ans ». Son enjeu « dépasse de loin le sort du Donbass et même celui de l’Ukraine », souligne notre confrère, pour qui « les signes d’escalade sont nombreux » et laissent craindre que, « sans aller jusqu’à l’affrontement direct que personne ne souhaite », les deux blocs aient de plus en plus de mal à contrôler la suite des opérations. De part et d’autre, on hausse le ton, faute de trouver le chemin du dialogue, et on se lance mutuellement des anathèmes, malgré les précautions de l’Occident, qui cherche à éviter l’irrémédiable.
Surenchère et provocation
A Moscou, on n’hésite plus, dans l’entourage de Vladimir Poutine, à se dire en guerre avec l’Occident, auquel on prête les intentions les plus criminelles. La propagande russe verse dans la surenchère et la provocation. Dans son dernier roman, Les abeilles grises (éditions Liana Levi, 2022), l’écrivain ukrainien Andreï Kourkov met en scène une émission de la télévision russe dans laquelle « trois hommes en cravate » s’en prennent aux gouvernements d’Amérique et d’Europe. « Pour eux, dit l’un d’eux, l’Ukraine n’est qu’un instrument. L’instrument avec lequel ils veulent rayer la Russie de la carte politique du monde ». C’est par des affirmations de cette nature que Vladimir Poutine justifie l’intervention de son armée.
Du côté occidental, les gestes et les propos se durcissent. Joe Biden accuse publiquement la partie russe de « crime de guerre » et de « génocide ». L’engagement des Américains et des Européens auprès des Ukrainiens s’intensifie, notamment par de nouvelles livraisons d’armes, y compris d’armes lourdes. Les visites de dirigeants européens à Kiev, du premier ministre britannique Boris Johnson à la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, témoignent d’un soutien politique accru. La perspective de l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne se précise et celle de l’entrée de deux pays neutres, la Finlande et la Suède, dans l’OTAN est désormais à l’ordre du jour.
De jour en jour, le péril d’une bataille Est-Ouest s’accroît d’une manière inquiétante. Cette bataille est d’abord politique et idéologique, elle n’est pas encore militaire. Il serait urgent d’entamer une désescalade avant que le pire n’arrive. Rien n’indique que pour le moment Vladimir Poutine soit prêt à composer.
Thomas Ferenczi