Les propos de campagnes, les premières déclarations du président-élu et les nominations dans la future administration ne permettent pas de savoir si Donald Trump a une vision cohérente du système international, et dans le cas improbable où la réponse serait positive, ils ne permettent pas d’en connaître la nature.
Le seul point commun à ses prises de position est que, sur des sujets essentiels de la politique étrangère, il tourne le dos aux principes ou aux usages ayant cours dans les récentes administrations, qu’elles soient républicaines ou démocrates. En un peu plus d’un mois depuis le jour des élections, Donald Trump a mis en cause la politique « d’une seule Chine » menée depuis les années 1970. Il critique le libre-échange qui a été le credo de la majorité des économistes américains depuis la Deuxième guerre mondiale. Il va envoyer en Israël un ambassadeur qui veut s’installer à Jérusalem alors que les Etats-Unis, comme la plupart des grands pays du monde, ont leur représentation à Tel-Aviv. Il semble vouloir sortir de l’accord de Paris sur le climat, conçu de manière suffisamment souple pourtant pour satisfaire les Etats-Unis. Il exprime ses doutes sur la pertinence de l’OTAN, la seule alliance militaire à laquelle les Américains aient appartenu pour des décennies et qui a garanti la paix en Europe. Dans sa volonté de réconcilier Washington et Moscou, il parait disposé à sacrifier les Etats de la « zone grise » entre l’Europe et la Russie et à laisser à Vladimir Poutine les mains libres en Syrie pour peu qu’il lutte contre Daech.
Sans doute la politique extérieure américaine vit-elle parfois sur des mythes qu’il n’est pas mauvais de temps en temps de bousculer. En diplomatie les symboles ont leur importance mais à trop vouloir y sacrifier, on risque de s’enfermer dans la routine et on se prive des moyens de changer l’ordre des choses. Le magnat de l’immobilier qui s’est hissé jusqu’à la Maison blanche ne connaît pas les inhibitions des responsables nourris dans le sérail ou des diplomates de carrière, c’est un euphémisme. Il joue d’une forme d’ignorance pour subvertir les idées reçues les mieux ancrées.
Toutefois ces accès de non-conformisme ne sont pas sans danger, surtout s’ils apparaissent plus comme des foucades que comme l’expression d’une stratégie bien pensée. Le cas des rapports avec Pékin est exemplaire. Il est vrai que la Chine se montre expansionniste avec ses voisins, militariste dans la mer de Chine du sud, dirigiste avec sa monnaie et agressive par son activité commerciale. Mais vouloir imposer 45% de taxes sur les importations chinoises, c’est diminuer le niveau de vie des Américains. Se lancer dans une guerre commerciale, c’est oublier que la Chine détient une grande partie de la dette américaine. Mettre en cause le tabou « d’une seule Chine », c’est risquer une escalade militaire dans le Pacifique et réduire la démocratie taïwanaise au statut de monnaie d’échange.
Par ses dimensions géographiques, démographiques, économiques et militaires, la Chine sera à la fois la grande rivale et le principal partenaire des Etats-Unis au XXIème siècle. Les relations avec elle seront par nature ambivalente, entre hostilité, coopération et concurrence. Elles devront être gérées avec subtilité, sauf à provoquer un affrontement catastrophique pour les deux protagonistes.
C’est de ce doigté dont Donald Trump semble désespérément dépourvu.