L’éventuelle adhésion de l’Ukraine, de la Moldavie et de la Géorgie à l’Union européenne relance les interrogations sur les frontières de la construction européenne et sur le nombre d’Etats qu’elle peut accueillir. L’élargissement de l’UE a toujours été considéré comme le signe de son rayonnement auprès des pays du Vieux Continent et comme la preuve de son succès, qu’a confirmé d’une manière spectaculaire l’entrée des anciens pays du bloc communiste. Mais la question de ses limites n’a jamais été vraiment tranchée. Le débat a rebondi au début des années 2000 quand des négociations d’adhésion ont été engagées avec la Turquie. Le gel des discussions entre Bruxelles et Ankara a mis cette réflexion en sourdine. Les aspirations de l’Ukraine, de la Moldavie et de la Géorgie la remettent sur le tapis.
L’extension de l’Union européenne s’est faite par étapes. Aux six pays fondateurs sont venues s’adjoindre, au gré des circonstances politiques, la plupart des autres nations européennes : la Grande-Bretagne en 1973, accompagnée par l’Irlande et le Danemark ; la Grèce, l’Espagne et le Portugal dans les années 80, après la chute des dictatures ; l’Autriche, la Suède et la Finlande, trois Etats neutres, en 1995 ; enfin les pays d’Europe du Centre et de l’Est, en compagnie de Chypre et de Malte, en 2005, 2007 et 2013. Une demi-douzaine d’Etats, ceux des Balkans occidentaux, sont encore dans la salle d’attente. Les négociations ont commencé avec deux d’entre eux, la Serbie et le Monténégro. Elles devraient s’ouvrir, le moment venu, avec les autres. Si l’Ukraine, la Moldavie et la Géorgie obtiennent le statut de candidates, elles viendront compléter la liste.
Où s’arrêtera-t-on ? Comment distinguer les pays qui ont le droit d’adhérer de ceux qui n’y sont pas autorisés ? L’appartenance au continent européen n’étant pas jugée suffisante pour garantir un billet d’entrée, les Européens ont défini en 1993, au Conseil européen de Copenhague, plusieurs critères. Le premier est politique : les Etats qui souhaitent entrer dans l’Union doivent posséder des institutions stables et démocratiques. Le second est économique : ils doivent présenter une économie de marché « viable » et capable de « faire face à la pression concurrentielle ».
Le troisième est celui du respect de « l’acquis communautaire » qui leur impose d’assumer les obligations résultant de leur adhésion et notamment de souscrire aux objectifs de l’union politique, économique et monétaire. Enfin, le quatrième de ces « critères de Copenhague », la « capacité d’absorption », concerne l’union elle-même : elle doit être capable d’assimiler de nouveaux membres « tout en maintenant l’élan d’intégration européenne ».
Au regard de ces critères, on comprend qu’un long et difficile processus de négociation est nécessaire pour permettre aux pays candidats de s’adapter aux exigences de Bruxelles. Le temps qui sépare le dépôt de la candidature de l’entrée dans l’Union peut être de plusieurs années, voire, comme l’a dit Emmanuel Macron, de plusieurs décennies. Ce délai est en contradiction avec l’impatience des pays candidats, à commencer par l’Ukraine, qui demande une adhésion rapide.
« Entrer dans l’Union n’est pas si facile », explique Jean-Dominique Giuliani, président de la Fondation Robert Schuman, dans une tribune publiée par le quotidien Ouest France, avant d’ajouter : « L’Ukraine ne rejoindra pas l’Union européenne avant longtemps. Elle n’est pas prête, l’état de son économie, son organisation politique, le niveau de corruption ne la qualifient pas, pour l’instant, pour l’appartenance européenne ».
Cet avis est largement partagé en Europe. Pour donner en partie satisfaction aux Ukrainiens, Emmanuel Macron propose une autre voie, celle d’une « communauté politique européenne », c’est-à-dire d’un « nouvel espace de coopération politique » qui associerait aux Vingt-Sept les Etats désireux, comme l’Ukraine, d’entrer dans l’UE sans y être encore prêts. Une proposition raisonnable, mais dont on peut imaginer qu’elle décevra les Ukrainiens, qui ne voudront pas apparaître comme des Européens de seconde zone.
« Pour être crédibles, souligne Jean-Dominique Giuliani, les Européens devront mettre dans la corbeille de cet éventuel mariage, non seulement des avantages économiques, ce qui n’est pas le plus difficile, mais aussi des garanties de sécurité, ce qui est plus compliqué pour des Européens qui ont négligé pendant des années d’investir dans la leur ». Si l’idée d’Emmanuel Macron est approuvée par ses partenaires européens, la prochaine étape sera d’ouvrir des discussions avec Volodymyr Zelensky.
Thomas Ferenczi