La Maison Blanche, le Congrès et la Cour suprême sont les trois branches de la démocratie américaine. Pour Dick Howard, la disparition de la juge Ginsburg ne doit pas empêcher la poursuite d’un système politique où ces trois branches, égales entre elles, s’équilibrent et où l’une d’entre elles, la Cour Suprême, ne doit ni exagérer ni minimiser son propre rôle. Chacune représente le peuple mais aucune ne peut prétendre en incarner la vérité. C’est la condition de possibilité d’une démocratie républicaine.
Ruth Bader Ginsberg elle-même, souvent vue essentiellement comme une icône du féminisme, doit aussi être considérée comme une juriste et une démocrate, au sens premier du terme, Pour la juriste, la Constitution qui maintient la forme républicaine établit et protège la démocratie. Mais cette Constitution n’est pas immuable. L’exercice de la démocratie peut en imposer des relectures. La Cour suprême est chargée de la difficile tâche de déceler le besoin de transformations en même temps qu’elle reconnaît ses propres limites.
La nomination d’une autre juge, hautement politique, se heurte, nous le voyons ces jours, à un problème plus immédiat. Qui a le droit de la nommer : le président actuel ou son éventuel remplaçant dès le 3 novembre ? Donald Trump peut se prévaloir d’une légitimité fondée sur le mandat gagné en 2016 ; mais une nouvelle élection aura lieu dans un mois et demi, le 3 novembre, ce qui fait apparaître le pouvoir exécutif comme arbitraire. C’est pour cela que la nomination doit être approuvée par le Sénat. Or, sous le gouvernement Obama, au décès du juge Antonin Scalia à dix mois de l’élection de 2016, le Sénat à majorité républicaine avait refusé de tenir les auditions nécessaires à la désignation d’un candidat. Ce précédent pourrait-il se retourner contre le président Trump ? Rien n’est moins sûr, d’autant qu’il va s’écouler plus de trois mois avant la prise de fonction du nouveau président qui n’aura lieu que le 20 janvier.
Le pouvoir des juges
Si l’on reprend le rôle originel de la Cour Suprême, qui est d’interpréter la Constitution, force est de constater, selon Dick Howard, une évolution qui met en question son rôle démocratique. En un mot, il a évolué vers la résolution de cas politiques que les deux branches électives n’arrivent plus à résoudre. Cette farouche opposition entre juges libéraux et juges conservateurs a commencé en 1973 lorsqu’est tombé le verdict de la Cour dans l’affaire Roe v. Wade donnant aux femmes le droit à l’avortement et permettant d’importantes avancées sociales. Il y a là une ouverture et une reconnaissance de la place et du rôle de la femme dans la société. Par-delà la question de l’IVG, il s’agit d’un droit à l’autonomie qui aura par la suite des effets dans la sphère de la société civile.
Comme d’autres juristes et politiques, Ruth Bader Ginsberg avait pourtant une hésitation justifiée face à l’arrêt de 1973 : la Cour Suprême devait-elle être seule responsable de cette décision sur l’avortement ? Il serait plus juste que celle-ci revienne à une démocratie représentée par les trois branches du pouvoir agissant ensemble au travers d’un débat démocratique. Mais, fait nouveau et sans doute prévisible, à la suite de ce jugement venu de la Cour est apparu le facteur religieux, ouvrant la porte à une série d’autres absolutismes qui sont nocifs pour l’avenir d’une démocratie républicaine où le judiciaire, devient malgré lui l’incarnation de la volonté populaire.
Ce système qui donne tant de pouvoir à un ou une juge est un vrai problème. C’est pour l’éviter que les Pères Fondateurs avaient établi les trois branches égales du gouvernement. L’expression-clé pour définir la structure constitutionnelle est « freins et contrepoids", seule manière de lutter contre l’impulsivité des absolutismes moraux. Il est maintenant indispensable de rétablir ces pouvoirs et contre-pouvoirs. C’est peut-être cela le legs juridique de la regrettée juge Ginsburg.