Un chocolat, cher Ami ? Pour beaucoup, l’ambassadeur serait dans cette image d’un cocktail élégant qui fait la publicité d’une marque de confiserie. Si le fantasme est loin de la réalité, c’est avant tout à cause de la diversité qui rend le portrait-robot de l’ambassadeur si difficile à établir. Christian Lequesne admet cependant que de telles images continuent à être véhiculées dans la société, en dépit d’une énorme diversité dans la formation et le recrutement du personnel diplomatique. Mais il est vrai que pour faire carrière, il faut se conformer à certaines normes : le Quai n’est pas une administration où la marginalité, l’excentricité sont forcément valorisées.
Comment y entre-t-on ? Parce qu’on est sorti de l’ENA avec le rang qui convient, ni dans les premiers, qui conduisent plutôt vers l’Inspection des finances ou la Cour des comptes, ni trop mauvais non plus… Mais la carrière est ouverte aussi par le concours d’Orient, qui permet à des gens passionnés par telle ou telle région et qui ont appris deux « langues rares », comme on disait aux langues O, de rejoindre les rangs des diplomates de carrière. Comme à des spécialistes de divers domaines. Pour, en principe, y travailler dans leur spécialité, mais souvent cela ne dure guère. Des personnalités extérieures peuvent aussi être nommées ambassadeur, à la discrétion du président de la République – sous réserve cependant que cela n’intervienne pas plus souvent qu’à chaque dixième nomination.
En Allemagne en revanche il n’y a pas de concours ni d’examen général ; chaque administration à les siens. On est plutôt juriste...On y devient diplomate parce que c’est une carrière de prestige, dit Ulrike Niedner-Kalthoff, ou bien poussé par l’envie de connaître d’autres pays, d’autres langues...L’allemand en effet, au contraire du français, n’est pas la langue de la diplomatie.
Pierre Buhler, alors ambassadeur à Varsovie, avait ouvert les portes à l’ « ethnologue » Christian Lequesne qui a procédé, selon l’hôte, à une véritable radioscopie de la maison, confirmant certaines de ses impressions — par exemple le fait que ses collaborateurs trouvaient trop longues les réunions organisées par leur chef – alors que les diplomates s’efforçaient de faire comme si de rien n’était. Cette semaine d’immersion a permis aussi de mettre en lumière les différences dans les méthodes de travail entre Français et Allemands, des collègues avec lesquels l’ambassadeur français travaillait d’autant plus facilement qu’il parle lui-même parfaitement leur langue. Il y a, dit Pierre Buhler, des centres de gravité différents, les approches ne sont pas les mêmes surtout quand il s’agit de « papiers chauds » à livrer dans les 24 heures.
Les procédures sont plus lourdes du côté allemand, les diplomates doivent y observer strictement toute une chaîne de signatures alors que les Français, à Varsovie du moins, étaient plus libres. Une autre différence résidait dans les rythmes de travail : les Allemands travaillaient moins que les Français, non par paresse, mais parce qu’ils étaient mieux organisés.
Un travail constant de séduction
Il ne s’agissait pas, pour Pierre Buhler, d’une différence de conception de la mission à accomplir, mais plutôt d’une différence dans les instruments mis en œuvre pour le faire. Sans porter la francophonie en bandoulière, on peut dire que chacun a son carquois ou sa panoplie – des instruments différents. Pour la France, la langue et l’idée culturelle sont essentielles depuis longtemps. On y a ajouté la gastronomie. Pour ce travail constant de séduction qu’est la diplomatie.
La France se trouve avoir un très bon réseau de lycées français dans le monde, près d’un millier d’établissements qui scolarisent les enfants français et francophones de la communauté diplomatique et de la communauté locale, qui ensuite peuvent continuer leurs études en France. « C’est un levier formidable dit Pierre Buhler, pour créer un réseau de gens sensibilisés à notre culture. Ce sont des atouts que nous valorisons. »
« Le pendant en Allemagne est peut-être une diplomatie économique, qui utilise un sous-bassement plus fort grâce à ses chambres de commerce. Chacun utilise ses instruments au mieux. »
L’historien Maurice Vaïsse à propos des diplomates a parlé d’ « une peuplade aux mœurs bizarres ». Le politologue Christian Lequesne, qui d’ailleurs n’aime pas en parler comme d’une « tribu », voit dans cette expression un renvoi à la perception des diplomates par la société. Une notion largement fantasmée parce que le monde diplomatique est petit, souvent lointain, et que beaucoup de gens n’ont jamais rencontré de diplomates. Ils se font une image… que le diplomate complique. Jules Cambon, diplomate lui-même, disait d’eux qu’ils cherchent à s’adapter aux façons de vivre et de penser qui ne sont pas les leurs. La Bruyère compare le diplomate à un caméléon : « Toutes ses vues, (…), tous les raffinements de sa politique tendent à une seule fin, qui est de n’être point trompé et de tromper les autres. »
Les quatre figures du diplomate
Sa fonction, dans nos démocraties du moins, n’est pas de tromper. On a vu se dessiner quatre fonctions dans les études évoquées, celle du spécialiste d’une région, bon connaisseur de ses problèmes, voire de sa langue ; celle de l’amateur passionné qu’évoquait Ulrike Niedner-Kalthoff ; celle du bureaucrate qui gère des budgets et des procédures et celle du héros enfin, qui surgit dans les crises et parfois sauve se compatriotes en danger.
Le spécialiste n’est pas toujours dans la région qu’il connaît bien, et plus souvent la mission de l’ambassadeur consiste à assurer la coordination des spécialistes qui vont travailler ensemble sur une question spécifique, remarque Ulrike Niedner-Kalthoff. Mais l’ambassadeur dispose d’une équipe suffisante pour assurer l’intendance et le dispenser de devenir bureaucrate, assure Pierre Buhler. Le dilettante doit travailler et le héros est rare.
En outre le politique n’est jamais loin, le diplomate n’est pas seul. Le « fast track » vers le poste d’ambassadeur passe par les cabinets ministériels. L’autorité politique intervient moins par les nominations extérieures que par le poids sur les carrières, au niveau des ambassadeurs et des directeurs d’administrations centrales, dans un secteur où l’organisation collective est peu développée, même si un syndicat comme la CFDT est bien implanté au ministère des Affaires étrangères. La politique étrangère est en effet en France le domaine réservé du chef de l’État. C’est ce qui explique une certaine « prudence » de la plupart des diplomates par rapport à l’Elysée.
Représenter et regarder
Le diplomate représente son pays, et c’est en cela surtout que sa parole doit être mesurée. Lorsqu’il s’exprime, ce n’est pas lui qui parle – s’il veut faire entendre quelque chose à titre personnel et qui n’engagerait que lui, il dispose naturellement de moyens pour le faire aussi. Cette fonction essentielle de la représentation ne doit cependant pas faire oublier que le diplomate regarde aussi. Et écoute ; un diplomate japonais, Komura Jutaro, cité par Raoul Delcorde, du Centre Thucydide, a même suggéré qu’un diplomate doit utiliser ses oreilles et non sa bouche.
Pierre Buhler, lui, a vu l’Histoire en train de se faire : il a vu la Loi martiale en Pologne en 1981 alors qu’il était encore jeune secrétaire, Mikhaïl Gorbatchev lancer la perestroïka en 1985 et l’URSS s’effondrer, la délégation française chercher à Dayton une solution pour la Bosnie et a vécu les attentats du 11 septembre 2001 depuis le ministère français de la défense.
De cette histoire en train de se faire, l’ambassadeur informe son gouvernement. Christian Lequesne a parlé du « Ministère de la parole » dans son Ethnologie. Le diplomate écrit beaucoup de textes, il est avant tout un rédacteur, et si, comme disait Lacan, « le style c’est l’homme, mais l’homme à qui on s’adresse », il ne faut pas oublier que le diplomate s’adresse d’abord à sa hiérarchie et par l’intermédiaire de celle-ci au chef de l’Etat, une autorité qui a besoin d’être informée, de disposer d’une information hiérarchisée, et en peu de mots !, mais d’une information audacieuse aussi qui puisse prendre le risque de déplaire pour rester juste.
C’est d’autant plus difficile que dans l’éloignement certains diplomates peuvent craindre d’être oubliés et voudraient être lus avec intérêt. Et il y a tant de choses passionnantes qu’un ambassadeur n’a pas l’occasion de transcrire dans ses dépêches ou télégrammes ! Voilà peut-être pourquoi ils sont si nombreux à écrire des Mémoires…
Ulrike Niedner-Kalthoff ajoute que la langue nécessairement prudente du diplomate qui ne doit blesser personne est encore surdéterminée par le fait que lorsque quelque chose est dit, cela doit être fait.
Une affaire de famille
L’ambassadeur assure la représentation de son pays, mais les procédures bureaucratiques n’entravent pas son action car le chef de poste est aussi un chef d’équipe : le diplomate est un être collectif, dit Pierre Buhler. Les problèmes sociaux et familiaux des membres de cette équipe commencent à être mieux pris en considération. Comme le rappelle Ulrike Niedner-Kalthoff, beaucoup de conjoints de diplomates travaillaient en effet au service de la mission diplomatique sans contrat avec le ministère, tout en abandonnant leur propre carrière professionnelle. Les administrations ont commencé à prendre en compte les contraintes familiales.
Pour des conjoints travaillant tous les deux aux affaires étrangères et pouvant aspirer au poste d’ambassadeur, la France a cherché une solution dans le time-sharing. A Zagreb, les époux Meunier sont tous les deux accrédités auprès de la Croatie et exercent leurs fonctions à tour de rôle tous les six mois.
Avec le développement d’une politique extérieure commune dans l’Union européenne, a-t- on moins besoin d’ambassades bilatérales en Europe ? C’est une fausse bonne idée car le processus de confection des politiques publiques à Bruxelles repose sur l’intergouvernemental. Le rôle essentiel de chaque ambassade est donc de comprendre dans le pays membre la position du partenaire pour définir l’attitude qui devra être défendue.
D’autre part si dans les relations entre Etats membres, la coopération est la règle, en matière de diplomatie économique, ces Etats sont en concurrence et ont moins envie d’échanger qu’en politique. Pierre Buhler résume ainsi le travail du diplomate dans cette entité sui generis qu’est l’Union européenne aujourd’hui ;
- il doit chercher à comprendre les positions des partenaires pour préparer les réunions, en prévisions des divers conseils ;
- il doit convaincre nos partenaires de la justesse de nos vues et faire les démarches nécessaires pour y parvenir, sur tel ou tel enjeu européen ;
- il doit faire un travail d’explication auprès des administrations, parfois de la presse, comme cela a été le cas par exemple à propos du traitement des travailleurs détachés ;
Des logiques de conviction et de négociations restent indispensables. Ce qui a diminué, c’est la notion de protection consulaire en Union européenne, sauf peut-être en ce qui concerne le droit des familles, parce que les droits nationaux restent assez différents. L’ambassadeur bilatéral n’est pas appelé à disparaître dans l’UE. En revanche la coopération entre les ambassades des pays de l’UE dans des Etats tiers qui s’est beaucoup développée au cours des dernières années, peut encore être améliorée.
C’est un travail de longue haleine car les traditions, les méthodes de travail, les objectifs sont différentes d’un pays à l’autre, comme l’a montré le débat autour du livre de Christian Lequesne, avec le miroir de la diplomatie allemande.