Au lendemain du vote britannique sur le Brexit, les dirigeants européens répètent à l’envi que l’Europe ne peut pas « continuer comme avant », qu’il est urgent de remettre en chantier la construction européenne et que l’UE, avec ou sans le Royaume-Uni, doit enfin répondre au défi de l’euroscepticisme pour se réconcilier avec les peuples qui la composent. Ils prévoient déjà de se réunir pour examiner comment l’Europe peut et doit changer, se disent prêts à tirer les leçons du refus britannique en rendant l’Union plus attractive, plus démocratique, plus efficace, promettent de prendre les initiatives qui empêcheront l’Europe de se défaire et les Européens de se perdre dans l’infernale spirale du nationalisme triomphant. Le moment est venu, dit-on à Paris, à Berlin ou à Bruxelles, de renouer les fils d’un projet européen en perte de légitimité.
Ces intentions sont excellentes et ceux qui les expriment méritent d’être entendus. Mais tant de promesses ont été faites, tant d’engagements ont été pris, tant de propositions ont été formulées depuis tant d’années pour rénover l’Union européenne et lui rendre son élan perdu qu’on est en droit de nourrir un certain scepticisme à l’égard de ces belles paroles. On est tenté de détourner, à l’adresse de ceux qui appellent une fois de plus à la relance de l’Europe, ces mots de Samuel Beckett : « Imagination morte imaginez ».
Rappelons-nous : la dernière fois que les dirigeants européens se sont réunis pour remettre à plat l’ensemble des institutions et des politiques européennes afin de donner aux unes et aux autres un souffle nouveau, c’était il y a une douzaine d’années quand la Convention sur l’avenir de l’Europe s’est tenue à Bruxelles et a donné naissance au projet de Constitution européenne, devenu en 2009, avec des ambitions réduites, le traité de Lisbonne.
Si l’on excepte quelques aménagements institutionnels d’une portée limitée, comme la création d’une présidence permanente du Conseil européen ou d’un Service européen d’action extérieure, le compromis auquel sont parvenus alors les Etats membres n’a pas permis d’avancée majeure. En ira-t-il autrement en 2016 ? Il est vrai qu’au cours de la Convention les Britanniques avaient bloqué la plupart des initiatives perçues comme relevant du fédéralisme. Mais ils avaient le soutien d’autres pays, opposés, comme eux, à toute forme de supranationalité.
En fait, les grandes impulsions données à l’Europe l’ont été dans les années 1980 (Acte unique en 1986) et 1990 (Traité de Maastricht en 1992). La naissance du Marché unique, la mise en place de l’euro, les balbutiements d’une politique étrangère commune, l’esquisse d’un espace européen de justice et de police ont alors marqué un vrai progrès. Depuis cette époque, l’Europe a stagné. La crise économique, puis celle des réfugiés ont montré sa faiblesse.
Les Européens sont-ils capables de reprendre aujourd’hui leur marche en avant ? Il leur faudra faire preuve de plus de volonté et de plus d’imagination qu’ils n’en ont montrées jusqu’à présent. On voit mal comment ils pourraient trouver des terrains d’entente sur les sujets qui ne cessent de les diviser. Le couple franco-allemand paraît désireux de revenir sur les deux dossiers chauds du moment, le terrorisme et l’immigration, sur lesquels la désunion européenne a été flagrante. La valeur ajoutée de l’Union européenne serait, selon François Hollande, d’assurer une meilleure protection des citoyens face aux tumultes du monde et de garantir, en particulier, la solidité des frontières. Il n’est pas sûr qu’Angela Merkel soit sur la même longueur d’ondes. Le Brexit est une épreuve de vérité pour la solidarité des Européens.