Il n’y a à peu près rien de commun entre le discret Mario Draghi, devenu président du Conseil italien en 2021 après s’être illustré à la présidence de la Banque centrale européenne, et le flamboyant Boris Johnson, porté à la tête du gouvernement britannique en 2019 après avoir mené campagne pour la sortie de son pays de l’Union européenne. Non seulement les parcours des deux hommes ne se ressemblent pas mais leurs caractères, leurs méthodes, leurs styles sont aussi différents qu’il est possible de l’imaginer. L’actualité les rapproche pourtant puisque l’un et l’autre, lâchés par leurs majorités parlementaires, quittent au même moment le pouvoir et que leur départ suscite, dans leurs propres pays d’abord, en Europe ensuite, de nombreuses incertitudes.
Les Européens, qui saluent avec respect le premier ministre italien, n’ont pas de mots assez durs envers son homologue britannique. « Les trois années qu’il a passées à Downing Street, si l’histoire les retient, resteront comme une période de régression politique, économique et sociale dans l’une des plus vivantes démocraties du monde », écrit par exemple Le Monde, qui dénonce, entre autres, le « dilettantisme » et l’ « arrogance » de « BoJo », son « cynisme sans limites », les libertés qu’il n’a cessé de prendre avec la vérité. Sa démission apparaît donc comme une bonne nouvelle. L’avenir dira si celui, ou celle, qui lui succédera sera prêt à rompre avec les pratiques qui lui ont valu la désapprobation d’une large partie de l’opinion européenne.
La chute de Mario Draghi est perçue, elle, comme une mauvaise nouvelle. Citons encore Le Monde. « La fin de l’ère Draghi, un choc pour toute l’Europe », affirme le journal dans son éditorial. « Le moment ne pouvait pas être pire pour l’Italie, pour la zone euro et pour l’Union européenne tout entière », souligne le quotidien. L’ancien président de la Banque centrale européenne, considéré comme le sauveur de la zone euro, était tenu en effet à Bruxelles pour le garant des réformes jugées nécessaires au redressement de l’Italie, perçue comme le maillon faible de l’euro. Il avait également imposé une ferme politique de sanctions à l’égard de la Russie, dont on peut craindre qu’elle ne soit contredite par ceux qui s’apprêtent à prendre sa place.
Le diable et le bon Dieu
La question de la cohésion européenne face à l’agression russe en Ukraine est l’un des enjeux de la double succession à Londres et à Rome. Au Royaume-Uni, Boris Johnson a été l’un des dirigeants les plus actifs dans l’aide européenne à l’Ukraine. Son pays a été le premier en Europe à fournir à Kiev des armes de défense. « BoJo » a été lui-même un des premiers dirigeants occidentaux à rendre visite au président ukrainien Volodymyr Zelensky. On peut attendre des deux candidats en piste pour sa succession qu’ils restent fidèles aux engagements de leur prédécesseur. L’un, Rishi Sunak, son ex-chancelier de l’Echiquier, a été, pendant toute la durée du mandat de Boris Johnson, un de ses collaborateurs les plus proches. L’autre, la ministre des affaires étrangères Liz Truss, fidèle entre les fidèles, a épousé sans états d’âme sa diplomatie ukrainienne. Ni l’un ni l’autre ne semblent prêts à remettre en cause les engagements du premier ministre sortant.
En Italie, les choses sont moins simples. Le déplacement qu’a effectué Mario Draghi en Ukraine, le 16 juin, aux côtés du président français Emmanuel Macron et du chancelier allemand Olaf Scholz, a été l’occasion pour le gouvernement italien d’afficher son soutien à Volodymyr Zelensky. Comme ses deux homologues européens, il s’est dit favorable à l’entrée de l’Ukraine dans l’Union européenne. Toutefois cette position était loin de faire l’unanimité au sein de sa coalition. La continuité de sa politique étrangère n’est pas assurée. Les partis de droite qui pourraient sortir vainqueurs des prochaines élections législatives – la Ligue de Matteo Salvani, Fratelli d’Italia de Giorgia Meloni, Forza Italia de Silvio Berlusconi – ne cachent pas leurs sympathies pour Vladimir Poutine.
Deux hommes politiques quittent la scène après avoir soulevé des espoirs dans leurs pays respectifs. Mario Draghi, l’économiste italien reconnu pour son courage et sa compétence, et Boris Johnson, l’ancien journaliste britannique critiqué pour ses mensonges, sont aux antipodes l’un de l’autre. Quand l’un est couvert d’éloges, l’autre est chargé d’opprobres. Le diable et le bon Dieu, en quelque sorte. Ils incarnent l’un le refus du populisme, l’autre la tentation du populisme. La défaite du premier, la succession du second ouvrent un nouvelle période de turbulences en Europe.
Thomas Ferenczi