Finir la guerre en Ukraine

Au lendemain de la date anniversaire de l’entrée en guerre de la Russie contre l’Ukraine, l’issue du conflit reste incertaine. La victoire de la Russie, qui paraissait acquise au commencement des hostilités, demeure problématique face à la résistance inattendue de l’Ukraine. La victoire de l’Ukraine, qui semblait improbable il y a un an, ne peut plus être exclue après les échecs répétés de la Russie. Les deux armées affirment l’une et l’autre qu’elles se battront jusqu’à la victoire. Les alliés de Kiev ont même fini par se rallier à ce mot d’ordre. Mais la question est de savoir ce que signifie ce mot de victoire, ce qu’il recouvre pour chacun des deux camps. Plusieurs interprétations sont possibles, du côté de Kiev comme du côté de Moscou. Or l’ambiguïté devra être levée si on veut se donner les moyens de mettre fin à la guerre.

Pour le président ukrainien, l’objectif est clairement d’obtenir du chef du Kremlin qu’il retire toutes ses troupes du territoire ukrainien, y compris de la Crimée. En poussant à l’extrême les demandes de Kiev, Vladimir Poutine devrait aussi quitter le pouvoir à Moscou et comparaître devant un tribunal pour crimes de guerre. La sécurité future de l’Ukraine devrait en outre être assurée par ses alliés pour protéger le pays contre une nouvelle agression. Ces garanties pourraient aller jusqu’à l’entrée dans l’OTAN. Elles devraient concerner aussi les autres pays de l’ancien empire soviétique, en particulier la Moldavie, aujourd’hui menacée, la Géorgie et les Républiques baltes.

Pour Moscou, la victoire serait un changement de régime à Kiev et le remplacement de Volodymyr Zelensky par un affidé de Vladimir Poutine qui aurait pour mission de rompre les liens de l’Ukraine avec l’Europe et les Etats-Unis et de l’unir étroitement à la Russie et à ses alliés. C’est ce nouveau cap qu’ont refusé les Ukrainiens en 2014 en chassant l’ancien président Viktor Ianoukovitch, réfugié en Russie, à l’occasion de la révolution de Maïdan. Vladimir Poutine n’a pas digéré cet événement. Il voudrait annexer l’Ukraine comme il a pratiquement annexé la Biélorussie. Il a échoué à la conquérir par les armes au tout début de l’agression. Il n’a pas renoncé. Pour lui, l’Ukraine fait partie des « terres historiques » de la Russie. Elle doit, comme d’autres Etats de son voisinage, retourner dans le giron de Moscou et s’éloigner du camp occidental.

Avions et missiles à longue portée

Ces deux hypothèses extrêmes – une victoire totale de l’Ukraine dans un cas, de la Russie dans l’autre - ne sont pas tout à fait impossibles, même si elles ne sont pas aujourd’hui les plus probables. La première serait pour les démocraties occidentales, alliées de l’Ukraine, un succès éclatant, la second un échec catastrophique. Il va de soi qu’une défaite de la Russie ne serait possible que si les pays qui viennent en aide à Kiev accroissaient fortement leurs livraisons d’armes, comme le demande inlassablement Volodymyr Zelensky. La fourniture d’avions et de missiles à longue portée, qui est au coeur des discussions, changerait sans doute le cours de la guerre.

Les hypothèses intermédiaires, que les deux parties refusent d’évoquer publiquement, sont centrées sur le statut futur du Donbass et de la Crimée. La Russie, qui a d’ores et déjà annexé ces territoires, obtiendrait un droit de regard sur la région, ou sur une partie d’entre elle, sous une forme à définir et conserverait, ou non, la Crimée. Cette solution, encore floue, offrirait à Moscou une porte de sortie. En échange de ses concessions, dont l’ampleur reste à déterminer, l’Ukraine garderait son indépendance, sinon son intégrité. Il est trop tôt pour préciser la nature de ce pacte éventuel mais on en voit la direction. Si la victoire de Kiev, c’est-à-dire le retrait de toutes les troupes russes, se révèle impossible, un tel plan pourrait être l’esquisse d’une solution. En attendant une éventuelle négociation, l’armée ukrainienne doit continuer de recevoir tout le soutien possible de ses alliés.

Le soutien militaire et diplomatique de l’Occident doit s’accompagner de la tenue d’une promesse faite aux Ukrainiens, celle d’entrer dans l’Union européenne. C’est un pari difficile mais nécessaire pour assurer la protection de l’Ukraine. Plusieurs Etats se pressent aux portes de l’Europe, à commencer par les pays des Balkans occidentaux, qui s’impatientent et verraient d’un mauvais œil les Ukrainiens passer avant eux. L’accord qui semble se dessiner entre la Serbie et le Kosovo pourrait débloquer les pourparlers avec les Balkans occidentaux. Il pourrait permettre d’accélérer aussi l’adhésion future de l’Ukraine, dans des conditions adaptées à la situation d’un pays affaibli par la guerre et loin de répondre aujourd’hui aux critères européens.

Thomas Ferenczi