Dans moins d’un mois, le Royaume-Uni quittera l’Union européenne, au terme de la période de transition qui devait lui permettre de négocier avec le reste de l’Europe un accord de libre-échange. Les négociations sur cet accord ont été laborieuses. On ne sait pas encore quelle en sera l’issue. Mais qu’il soit conclu ou non, la rupture du Royaume-Uni avec l’Union européenne est pour celle-ci un échec douloureux. Même si les Britanniques n’ont cessé de se tenir en marge des principales politiques européennes, gardant, selon l’expression consacrée, « un pied dedans un pied dehors », ils ont largement contribué à donner à l’Union son crédit et son pouvoir d’influence.
Leur départ est donc ressenti comme une « amputation », selon la formule de l’ancien représentant permanent de la France à Bruxelles, Pierre Sellal, au cours d’une rencontre organisée en septembre 2019 par l’Institut Diderot. « Amputation économique, politique, géographique…, précise le diplomate, nombreux sont les domaines dans lesquels la perte de puissance et de rayonnement de l’ensemble européen sera réelle ». Certes, près de cinq ans après le référendum de juin 2016, les Européens se sont habitués à l’idée du divorce, malgré toutes les incertitudes qui ont précédé la séparation proprement dite, mais au moment où les Britanniques s’en vont effectivement, un double sentiment de tristesse et d’inquiétude étreint ceux pour qui le Royaume-Uni fait bel et bien partie de l’Europe.
Son absence aidera-t-elle à relancer la construction européenne ? Rien n’est moins sûr. A ceux qui croient que la fin de l’obstruction britannique va enfin permettre des avancées décisives, Pierre Sellal répond, à contre-courant d’une opinion répandue, que « le Royaume-Uni a peu de responsabilités dans les blocages actuels au niveau européen » et qu’il a été un acteur important dans la lutte contre le changement climatique, les projets de taxation de l’économie numérique ou le développement d’une défense commune. Le Brexit marque donc un recul de la construction européenne. Pour compenser les dommages subis, il est urgent de surmonter les rancoeurs mutuelles et d’établir des liens de coopération solides et durables.
La fronde de la Hongrie et de la Pologne
L’autre grande source de division en Europe est l’attitude apparemment inébranlable de deux pays – la Hongrie et la Pologne – qui bloquent l’ambitieux plan de relance européen parce que celui-ci subordonne le versement des fonds au respect de l’Etat de droit. Or Varsovie et Budapest sont accusées par Bruxelles de violer les règles de la démocratie en tentant de museler la justice, les médias et autres corps intermédiaires. Les deux gouvernements d’Europe centrale ont choisi de soumettre leurs partenaires à un chantage brutal : si ceux-ci ne renoncent pas à leurs menaces de sanctions, le plan sur lequel ils se sont entendus au début de l’été et qui a été salué comme un progrès majeur de l’intégration européenne ne pourra pas entrer en vigueur.
Cette sécession virtuelle de deux Etats entrés dans l’Union en 2004 avec la plupart des autres pays délivrés de la tutelle soviétique est un coup sérieux porté à l’Europe, d’autant plus malvenu que l’effet de contagion du Brexit sur le reste du Vieux Continent ne s’est pas produit et que l’idée de quitter l’Union, naguère agitée par l’extrême-droite populiste, a perdu beaucoup de terrain en Europe. Il est vrai que ni la Hongrie ni la Pologne n’envisagent de se séparer de l’Union mais la manière dont ils se comportent, en allant jusqu’à comparer l’Union européenne à l’ancienne Union soviétique, affaiblit l’Europe et met en échec sa stratégie unitaire.
On pourrait imaginer que les autres pays de l’Union décident d’appliquer le plan de relance à vingt-cinq, par le biais d’une coopération renforcée qui laisserait en dehors les deux pays récalcitrants. Mais une telle solution serait un aveu de faiblesse qui irait à l’encontre du projet européen. Il faut espérer que l’Union ne sera pas obligée d’en venir à une telle extrémité. Ce serait en effet le début d’un dangereux délitement. La défense de la démocratie fait partie des principes fondateurs de la construction européenne. En adhérant à l’Union, tous les Etats membres y ont souscrit. La démocratie dite « illibérale » dont ils se réclament est étrangère aux valeurs de l’Europe qui ne peut accepter que celles-ci soient bafouées dans l’un ou l’autre pays de l’Union.
Face au double défi du Royaume-Uni et du couple hungaro-polonais l’Europe joue une partie de son avenir.