C’est donc une sorte de « Schengen fiscal », un nouvel accord international entre 26 des 27 pays membres de l’UE, qui est choisi pour sauver l’Euro. Angela (Merkel) et Nicolas (Sarkozy) sont revenus sur la scène avec leur énième tentative de sauver l’union monétaire, cette fois une fois pour toutes. Comme la dernière fois, comme avant. Mais ils n’ont pas encore gagné. David (Cameron) ne veut pas entendre parler d’une révision du Traité de Lisbonne. Les autres 9 pays, qui ne font pas partie de l’Eurozone, se sont engagés à consulter leurs parlements nationaux sur la question et ont fait comprendre qu’ils souhaitent se joindre à l’accord plus tard. « Si l’Euro échoue, l’Europe échoue », avait déclaré la Chancelière devant les députés du Bundestag. Elle se trouve soutenue par l’actuel locataire de l’Elysée. Le drame, alors, sera-t-il évité ? Au prix d’une autre exception à la règle ?
Ou bien, est-ce que le Conseil Européen a saisi sa chance, même si c’est la « second best », pour oser le saut qualitatif ? « La solution du problème de l’Euro, ce n’est pas moins d’Europe, c’est plus d’Europe », nous disent les responsables politiques de part et d’autre. Mais c’est quoi, exactement, plus d’Europe ? C’est l’Europe de l’Eurozone des 17 et des 9 qui s’y joignent ? Ou c’est l’Union entière, des 27 aujourd’hui, des 28 demain ? C’est « Bruxelles » ? Ou c’est le Conseil des Chefs ? Rien n’est sûr. Pis – c’est l’un ET l’autre. C’est les 26 ET les 27 ; c’est Bruxelles ET les Chefs. Et la Merkozie tente de réconcilier les deux. Elle risque d’échouer.
Il est vrai que l’intégration européenne s’est toujours faite en acceptant des ambiguïtés, en créant des formats divers pour permettre aux uns de faire un pas supplémentaire, tout en acceptant que les autres restent à l’écart, au moins provisoirement. « Schengen », l’abolition des contrôles aux frontières à l’intérieur de l’UE, a été lancé de cette manière, avant d’être incorporé dans le Traité de Lisbonne. La politique de sécurité et de défense commune (PSDC) connaît toujours « l’opt-out » du Danemark ; mais en principe, elle reste une politique purement intergouvernementale, non-intégrée. L’Eurozone est toujours à part de la structure communautaire, bien que les nouveaux membres se soient engagés formellement à la rejoindre, une fois les critères monétaires de « Maastricht » remplis – une obligation qui ne s’applique pas au Danemark, à la Suède et au Royaume Uni, qui en décideront à leur gré. Il n’y a donc rien d’extraordinaire à ce que l’union monétaire de l’Eurozone se soit développée en une union fiscale et budgétaire, sans que tous les membres de l’Union y participent.
Et pourtant, cette fois, la crise est plus profonde. Il n’est pas sûr du tout qu’elle soit résolue par les décisions prises. Ceci, au-delà des raisonnements purement économiques, pour trois raisons politiques :
1. Le Royaume Uni a invoqué l’intérêt national pour refuser toute formalisation d’une « gouvernance économique » de l’union monétaire dans le cadre du Traité de l’Union. Il n’a pas avancé l’idée qu’il n’était pas encore prêt ; il a décidé clairement qu’il n’en voulait pas. L’Union monétaire, complétée par une union fiscale et économique, risque d’évoluer dans une direction, la Grande Bretagne dans une autre. Il s’agit donc d’un conflit réel concernant la finalité de l’Union Européenne. Ce conflit a toujours existé. Maintenant il apparaît définitif. La survie de l’union monétaire exige finalement une union politique. L’une n’ira pas sans l’autre. L’UK n’en veut pas, ni de l’une, ni de l’autre. Tôt ou tard, il va lui falloir choisir : ou bien, l’union monétaire et économique s’établit et réussit - alors, elle aura un gouvernement économique qui va devenir une union politique que Londres ne veut pas. Et alors l’UK va-t-elle se retirer ou suivre ? Ou bien la Grande Bretagne réussit à empêcher que s’établisse une telle union politique– alors, l’union monétaire éclatera et ce qui reste de l’Union Européenne se transformera, au mieux, en une sorte de grande zone de libre-échange. Mais son éclatement pourrait aussi faire ressurgir des conflits anciens. Les tendances récentes de renationalisation des discours politiques dans nos pays, l’absence de discours européens convaincants, n’incitent pas à la confiance.
2. La Commission et le président de l’Eurozone prétendent que le gouvernement économique de l’UE existe déjà : la Commission, légitimée et contrôlée par le Parlement Européen. Les propositions franco-allemandes même font allusion à un renforcement des fonctions du commissaire chargé des questions monétaires et au rôle que pourrait jouer par la Cour de Justice de Luxembourg. Or, l’implication d’organes communautaires dans la gouvernance économique de l’Eurozone suppose, justement, qu’elle se fasse dans le cadre du Traité de l’Union, donc à 27/28. Après les décisions prises par le Conseil Européen ceci est exclus. Mais il serait absurde que les 26 créent de nouvelles institutions. Ce conflit de compétences légales n’est pas encore résolu. Là aussi, il s’agit d’un conflit concernant la finalité de l’Union Européenne. Est-ce qu’elle doit évoluer dans le sens d’une union politique transnationale, avec des intérêts et des organes propres qui ont vocation à représenter l’ensemble des souverainetés nationales partagées. Ou est-ce qu’elle doit rester une union de gouvernements nationaux qui coopèrent d’une manière étroite au sein d’instances de coordination dont les gouvernements gardent le contrôle souverain, sans plus ? Les décisions à prendre dans le détail vont dépendre du choix qui sera fait en réponse à cette question.
3. Finalement, même la France et l’Allemagne ne sont pas d’accord sur cette question fondamentale. Les Allemands favorisent l’octroi de compétences supplémentaires aux instances communautaires, alors que les Français ont tendance à vouloir recentrer le pouvoir européen au profit du Conseil Européen, c’est-à-dire des gouvernements nationaux. Tous les deux peuvent prétendre de renforcer « l’Europe », mais en faisant cela, ils poursuivent des intentions très différentes. Et on peut douter que le résultat soit cohérent.
Evidemment, il faut souhaiter que la crise politique européenne soit résolue le plus rapidement possible ; et que cela permette la résolution de la crise monétaire et économique - malgré les problèmes de fond qui sont en jeu. Il faut souhaiter également que les acteurs en soient conscients. On n’a pas toujours l’impression que ce soit le cas.