L’Europe se divise sur l’exception culturelle

Les propos de José Manuel Barroso, qui a jugé « réactionnaire » la défense par la France de son industrie audiovisuelle, ont surpris par leur vigueur. Ils révèlent le fossé qui continue de séparer les Européens dans leur préparation d’un accord de libre échange avec les Américains.

La défense de « l’exception culturelle », c’est-à-dire du système de quotas et de subventions mis en place en France pour protéger l’audiovisuel national, a toujours été source de polémiques. Au nom de la liberté des échanges et du refus de toute forme de protectionnisme, les plus ardents partisans du libéralisme commercial n’ont cessé de s’opposer aux tentatives de restreindre ou de limiter la concurrence internationale dans certains domaines d’activité.

En qualifiant de « totalement réactionnaire » l’attitude de la France, le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, s’inscrit dans cette ligne. D’autres dirigeants européens ont exprimé, avant lui, la même conviction. En 2004, le premier ministre espagnol, José Maria Aznar, affirmait par exemple : « L’idée de créer une exception culturelle vient des pays dont la culture est en déclin ».

Dans le domaine culturel, la puissante industrie américaine est depuis longtemps à la pointe du combat contre toutes les clauses d’exception. Président de la MPAA (Motion Picture Association of America) pendant près de quarante ans, Jack Valenti (1921-2007) en fut ainsi l’un des acteurs, au moment de la création de l’OMC, face aux ministres français de la culture, dont l’un d’eux, Jacques Toubon, disait en 1993 : « Nous aimons le cinéma américain, à condition qu’il ne vienne pas tout écraser ». La défense de ce principe a permis aux gouvernements français successifs d’imposer à leurs partenaires européens le respect de ce qu’on a choisi d’appeler la « diversité culturelle », à travers des dispositifs qui demeurent fragiles et menacés.

Défense d’un modèle européen

Le projet de partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement, que l’Union européenne et les Etats-Unis s’apprêtent à négocier, réactive ce vieux débat en opposant les mêmes adversaires : d’un côté, ceux qui entendent préserver un modèle européen, d’inspiration française, face au rouleau compresseur de l’impérialisme américain ; de l’autre, ceux qui dénoncent le risque d’un repli des Européens sur eux-mêmes au moment où la mondialisation devrait les inciter à accepter le jeu de la concurrence.

Que la querelle renaisse à l’occasion d’une confrontation à venir sur les questions commerciales entre l’Union européenne et les Etats-Unis n’est pas une surprise. Ce qui est plus surprenant, c’est que les Européens se divisent aussi spectaculairement sur un sujet dont on pensait que, sans être devenu consensuel, il suscitait désormais moins de passions ; et c’est surtout que le propre président de la Commission européenne, chargé par sa fonction de favoriser l’unité européenne plutôt que d’aviver les divergences, relance lui-même la controverse.

Ses propos ont été unanimement condamnés par les Français. Ils ont été jugés « consternants » et « inacceptables » par la ministre de la culture, Aurélie Filipetti, pour qui la Commission s’est « isolée dans sa logique ultralibérale ». Le commissaire français, Michel Barnier, s’est désolidarisé de son président, en présentant l’exception culturelle comme « un combat d’avenir ». L’eurodéputé Vert Daniel Cohn-Bendit a estimé que José Manuel Barroso était « complétement rétro » dans sa conception du libre échange. Quant à François Hollande, il dit avoir fait part au président de la Commission de l’émoi provoqué par ses paroles. « Il s’en est expliqué », s’est-il contenté d’ajouter en guise de commentaire.

L’avis de Barack Obama

A un an de la fin de son mandat, José Manuel Barroso confirme sa mauvaise relation avec les autorités françaises. Elu à la tête de la Commission après avoir soutenu, comme premier ministre portugais, l’intervention américaine en Irak et reçu George W. Bush en 2003, au sommet des Açores, il se range aujourd’hui avec la même netteté dans le camp des Etats-Unis. En s’attaquant comme il l’a fait à l’exception culturelle défendue par la France, il aurait, pense-t-on, exprimé l’avis de Barack Obama. Au moment où il s’apprête à quitter sa fonction, il doit songer à son avenir personnel. Le soutien du président américain peut lui être utile.