Les tempêtes qui secouent le Vieux Continent, de la pandémie à la guerre en Ukraine, auraient pu diviser les gouvernements européens en les incitant à se replier sur eux-mêmes. Elles semblent au contraire avoir renforcé leur solidarité. Loin de tergiverser comme ils le font trop souvent quand surgissent des épreuves imprévues, les Européens ont aussitôt réagi en cherchant des réponses communes aux nouvelles menaces. « Il y a quinze ans, lors de la crise financière, il nous a fallu des années pour trouver des solutions durables, a rappelé Ursula von der Leyen dans son discours sur l’état de l’Union le 14 septembre. Quelque dix ans plus tard, lorsque la pandémie nous a frappés, il ne nous a fallu que quelques semaines. Mais cette année, dès l’instant où les troupes russes ont franchi la frontière ukrainienne, nous avons immédiatement et fermement répondu en présentant un front uni ».
L’Union européenne s’est aussitôt mobilisée contre l’agression russe. « Depuis le premier jour, l’Europe se tient aux côtés de l’Ukraine, a rappelé la présidente de la Commission européenne. En fournissant des armes. En mobilisant des fonds. En ouvrant ses portes aux réfugiés. Et en imposant les sanctions les plus lourdes que le monde ait connues ». Les Européens ont su faire taire leurs différends et trouver en eux-mêmes, au nom des valeurs de liberté et de démocratie dont ils se réclament, les ressorts d’une démarche commune. « Nous avons ravivé la force intérieure de l’Europe », estime Ursula von der Leyen. L’Union européenne a refusé de céder au chantage de Vladimir Poutine. Elle a choisi son camp. « Le continent tout entier s’est dressé dans un élan de solidarité », affirme la présidente de la Commission européenne.
Cet élan, Ursula von der Leyen a raison de le souligner, les Européens l’avaient déjà manifesté, d’une manière aussi forte qu’inattendue, dans la gestion de la pandémie de Covid-19. On ne reviendra pas sur les détails de l’action engagée par les institutions européennes pour combattre la diffusion du virus et tenter d’en limiter les effets. Rappelons seulement, sur le plan sanitaire, la stratégie commune de dépistage et de vaccination adoptée par les Vingt-Sept et, sur le plan économique, leur décision de mutualiser leurs dettes, un choix historique en rupture avec le mode de fonctionnement antérieur de l’Union européenne. Placée dans une situation inédite d’une extrême gravité, celle-ci a tenu bon. En quelques années, l’union de l’Europe s’est resserrée, en dépit des difficultés provoquées notamment par le Brexit ou par le jeu solitaire de la Hongrie.
Un soutien massif et déterminé
Avec la guerre en Ukraine, c’est un nouveau défi qui est lancé aux Européens. Ils ont choisi de le relever avec panache en apportant à l’Ukraine un soutien massif et déterminé. La reconquête par l’armée ukrainienne de territoires occupés par les Russes est un premier résultat positif de la stratégie occidentale, même si la part des Etats-Unis dans cet effort de guerre est incomparablement supérieure à celle de l’Europe. Mais celle-ci tient son rôle, malgré les quelques malentendus qui l’ont opposé au président ukrainien Volodymyr Zelensky. L’engagement européen est aujourd’hui total. Tous les pays de l’UE sont rassemblés pour répliquer à l’agression russe, à commencer par ceux que leur proximité avec la Russie rend particulièrement vulnérables, comme la Pologne, les Républiques baltes ou les Etats nordiques.
De cette volonté européenne témoignent trois discours importants prononcés par des dirigeants de l’Union. Celui d’Ursula von der Leyen devant le Parlement européen, cité plus haut, qui condamne avec une grande vigueur l’agression de la Russie et affirme le total soutien de l’Europe, une Europe « déterminée et solidaire » face à « une guerre qui porte sur nos valeurs et notre avenir ». Celui d’Emmanuel Macron devant l’Assemblée générale des Nations unies, le 20 septembre, qui dénonce « un retour à l’âge des impérialismes et des colonies » et proclame : « Nous avons aujourd’hui à faire un choix simple, au fond : celui de la guerre ou de la paix ». Celui du chancelier allemand Olaf Scholz (lire l’éditorial de Detlef Puhl du 19 septembre sur Boulevard-Extérieur), qui plaide pour l’affirmation d’une Europe géopolitique « comme réponse au changement d’époque » et pour un renforcement de la « souveraineté européenne ». « Il s’agit de notre avenir, qui se nomme l’Europe », lance-t-il.
Les Européens ont enfin pris conscience de la nécessité pour le Vieux Continent d’affronter les crises d’une manière coordonnée, dans le domaine militaire mais aussi dans celui de l’énergie, qui appelle des réformes profondes. « Qu’en aussi peu de temps un tel aggiornamento énergétique soit prêt à être appliqué démontre que l’UE sait faire preuve, quand il le faut, d’une capacité d’adaptation spectaculaire », commente Le Monde. C’est une bonne nouvelle pour les défenseurs de l’Europe unie. C’est aussi une réponse à l’ascension des nationalismes, qui montent en puissance dans plusieurs pays de l’UE.
Thomas Ferenczi