Vladimir Poutine avait déjà invoqué le précédent du Kosovo pour justifier en 2008 la guerre en Géorgie et la sécession de deux régions de ce pays, l’Abkhazie et l’Ossétie du sud. Comme les Kosovars se sont séparés d’un Etat souverain à la suite d’une intervention armée, le « peuple de Crimée » aurait le droit de faire sécession de l’Ukraine, si telle est sa volonté. Autrement dit, la Russie, qui par ailleurs ne reconnaît pas avoir envoyé des soldats dans la péninsule en dehors de ceux stationnés dans les bases navales, agirait comme les Occidentaux dans l’ex-Yougoslavie. Cet argument est parfois repris, en Europe, par les défenseurs de la politique russe, qui se recrutent aussi bien à l’extrême-droite qu’à l’extrême-gauche.
C’est faire bon marché des différences entre la situation de la fin des années 1990 dans les Balkans et l’Ukraine d’aujourd’hui. D’une part, la Russie s’est déclarée en 1994 garante de l’indépendance et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine en même temps que les Etats-Unis. Cette garantie a été renouvelée dans le traité d’amitié et de coopération entre Moscou et Kiev en 1997. D’autre part, la Crimée est occupée depuis le mois de février par des forces qui ne portent pas d’insignes distinctifs mais dont tout le monde sait être russes.
La crise du Kosovo était le dernier maillon de l’éclatement de la Yougoslavie dont la cause immédiate était la volonté de Slobodan Milosevic de réunir les Serbes dans une « Grande Serbie ». Dès 1989, le chef de la Serbie avait accru la pression sur la population d’origine albanaise, muée peu à peu en véritable nettoyage ethnique. Rien de tel en Crimée où la situation est restée calme pendant que la place Maïdan de Kiev était en ébullition. Les désordres ont commencé quand les forces russes sont sorties de leurs bases.
Un processus qui a duré une décennie
Au Kosovo, les mises en garde de la communauté internationale, y compris de la Russie alors dirigée par Boris Eltsine, se sont multipliées à l’égard des Serbes. Plusieurs résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU, avec l’approbation ou en tous cas l’abstention de Moscou, menaçaient du recours à la force si Belgrade ne retirait pas ses troupes de la province. Il n’y a pas eu en effet, comme le dit aujourd’hui le Kremlin, d’autorisation formelle du Conseil de sécurité pour les bombardements de l’OTAN sur la Serbie. Mais cette intervention était contenue dans plusieurs résolutions de l’ONU et plusieurs séries de négociations diplomatiques avaient eu lieu pour tenter de résoudre le conflit par le dialogue. En vain.
Après la guerre, l’indépendance du Kosovo a été le résultat d’un long processus, émaillé aussi de nombreuses négociations, notamment sous l’égide de l’ancien président finlandais Martti Ahtisaari, représentant spécial de l’ONU. A l’issue de sa mission, Martti Ahtisaari a conclu qu’une indépendance « sous surveillance internationale » était la seule solution. Cette solution a été rejetée par Belgrade et par Moscou. Mais les Occidentaux n’ont pas essayé immédiatement de passer outre à leurs objections. Un groupe de contact a été créé sous la direction d’un haut diplomate allemand pour trouver une solution acceptable par toutes les parties. La Russie n’a jamais voulu vraiment négocier. En tous cas, rien à voir avec le fait accompli que cherche à imposer Vladimir Poutine en Crimée comme en Ossétie du sud et en Abkhazie six ans plus tôt.
Le processus qui a conduit à l’indépendance du Kosovo a duré près de dix ans après l’intervention internationale (1999-2008). Par son coup de force, la Russie veut régler le sort de la Crimée en moins d’un mois.