Si rien ne vient interrompre les négociations entre Bruxelles et Belgrade, ouvertes en décembre 2015, la Serbie devrait devenir, quelques années après la Croatie, le vingt-neuvième Etat membre de l’Union européenne. Ce nouvel élargissement n’aura pas lieu avant 2020, selon la Commission européenne, mais la large victoire du premier ministre sortant, Aleksandar Vucic, aux élections législatives anticipées du 24 avril, a confirmé l’engagement de son pays sur la voie de l’Europe et donné un nouvel élan au processus d’adhésion. Cet ancien journaliste de 46 ans, diplômé de la Faculté de droit de l’Université de Belgrade, qui fut ministre de l’information de 1998 à 2000 sous la présidence de Slobodan Milosevic, a rompu avec l’ultranationalisme de sa jeunesse. Il est aujourd’hui un fervent partisan de l’entrée de son pays dans l’Union européenne.
Fier d’avoir changé
Son parti, le Parti progressiste serbe, a choisi le chemin de l’intégration européenne, qui passe par la mise en œuvre des réformes demandées par Bruxelles au nom du respect de « l’acquis communautaire » et par une normalisation des relations entre la Serbie et le Kosovo. La nouvelle équipe au pouvoir depuis 2012 n’a pas remis en cause l’option pro-européenne de ceux qui l’ont précédée. Elle détient désormais tous les leviers de commande.
La présidence de la République est entre les mains de Tomislav Nikolic, fondateur du Parti progressiste serbe, qui a battu en 2012 le président sortant, Boris Tadic, et le Parlement est dominé par cette même formation, dont Aleksandar Vucic est désormais l’homme fort. Celui-ci a reconnu ses « erreurs » passées et se dit même « fier » d’avoir changé. La majorité dont il dispose lui donne les mains libres pour tenter de convaincre les Européens de sa capacité à préparer son pays, avec leur aide, à jouer le jeu de l’Union.
Un nouveau Viktor Orban ?
Toutefois l’incertitude demeure sur les intentions réelles d’Aleksandar Vucic. S’est-il vraiment converti aux valeurs de la démocratie européenne pour devenir le modernisateur dont la Serbie a besoin ou sera-t-il un nouveau Viktor Orban tenté, comme le premier ministre hongrois, par une pratique « illibérale » du pouvoir, plus inspirée de l’exemple de Vladimir Poutine que de celui des chefs d’Etat et de gouvernement occidentaux ? L’opposition, qui a perdu, il est vrai, beaucoup de terrain face à la percée du Parti progressiste serbe, ne croit pas que le chef du gouvernement ait renoncé à ses idées anciennes.
Elle dénonce les dérives autoritaires d’un régime qui, selon elle, tente de museler les médias et d’imposer sa volonté contre toute contestation. Elle ne croit pas non plus à ses promesses répétées de lutter contre la corruption alors que celle-ci continue de miner l’économie du pays. Elle soutient enfin que le soutien populaire dont se prévaut le gouvernement n’est obtenu que par la fraude et le truquage des urnes.
Aleksandar Vucic réfute ces critiques et se dit attaché au modèle européen, même s’il ne renie pas sa russophilie, largement partagée par ses compatriotes. Il a donné des preuves de sa bonne foi en signant un accord de coopération avec le Kosovo, qui reste l’un des principaux facteurs de tension. Il a surtout convaincu les dirigeants de l’Union européenne qu’il était le bon interlocuteur pour conduire les pourparlers avec Bruxelles et assurer la stabilité de la Serbie. Il leur apparaît comme le mieux placé pour sortir enfin son pays des tumultes des vingt-cinq dernières années et pour favoriser le redressement de son économie, dont la croissance reste faible, avec un taux de chômage de 20% environ, mais dont les perspectives s’améliorent.
La stabilité contre la démocratie ?
Pour les Européens, Aleksandar Vucic est celui qui peut empêcher son pays de tomber dans les bras de la Russie, son alliée historique, et maintenir un ordre à peu près acceptable dans la région. La stabilité avant la démocratie ? C’est le reproche que les détracteurs d’Aleksandar Vucic adressent aux Européens. Ceux-ci répondent qu’ils demeureront vigilants sur le respect par Belgrade des libertés publiques et des principes de l’Etat de droit. Ils estiment qu’ils n’ont pas d’autre choix que de faire confiance à un premier ministre qui réussit à rassembler les voix de la plupart des pro-Européens et d’une grande partie des nationalistes.
L’autre événement du scrutin du 24 avril est le retour sur la scène politique de Vojislav Seselj, dont la formation, le Parti radical serbe, l’ancien parti d’Aleksandar Vucic, a recueilli plus de 8% des suffrages. Le score obtenu par l’ancien vice-président du gouvernement serbe, qui fut poursuivi pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre puis acquitté en mars 2016 par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie au terme d’une longue procédure, atteste de la persistance d’une extrême-droite nationaliste qui n’a rien appris ni rien oublié.
Un acteur-clé de la région
Mais il permet à Aleksandar Vucic de rendre crédible son recentrage par rapport à son ancien allié et de se présenter, lui, comme un pragmatique qui attend d’abord de l’Europe qu’elle favorise l’économie serbe et qui se tient éloigné, lui, des passions idéologiques d’antan. Les porte-parole de l’Union européenne se plaisent à penser que la voie choisie par le gouvernement serbe est irréversible et que les gages donnés par le premier ministre font qu’il ne peut plus reculer. Aleksandar Vucic a cessé d’être un paria de l’Europe pour devenir l’un des acteurs-clés de la région, sur lequel l’Union européenne compte pour régler notamment la douloureuse question du Kosovo.
Avec les autres Etats des Balkans occidentaux, comme le Monténégro, la Macédoine et l’Albanie, la Serbie a fait des pas importants vers l’Europe. Il lui reste des progrès à faire pour assurer en particulier la liberté de la presse et l’indépendance de la justice. On ne sait pas encore si Aleksandar Vucic est prêt à accepter les exigences de la démocratie en renonçant à toutes les formes d’autoritarisme et en freinant le culte de la personnalité dont il commence à faire l’objet. Il devra aussi, sur le plan international, montrer qu’il est capable de concilier son amitié avec Vladimir Poutine et son partenariat avec Bruxelles.