Les révoltes du monde arabe vont-elle provoquer une vague d’immigration massive vers la rive Nord de la Méditerranée au risque d’embarrasser les Etats européens et de susciter l’hostilité de leurs opinions publiques ? Nicolas Sarkozy a agité ce risque en parlant dans sa dernière intervention télévisée de flux « incontrôlables ». Claude Guéant, nouveau ministre de l’intérieur, s’est rendu vendredi 4 mars à Vintimille pour demander aux autorités italiennes de ne pas laisser les immigrés clandestins entrer en France. Il s’est inquiété d’une « poussée » de l’immigration, tout en reconnaissant que celle-ci ne s’apparente pas à un « raz-de-marée ».
Les dirigeants européens appellent à la vigilance. Le président de la Commission, José Manuel Barroso, a mentionné, mercredi 2 mars, la question des réfugiés et des migrations comme l’une des dimensions de la crise que traversent les pays d’Afrique du Nord. L’afflux de milliers de réfugiés tunisiens dans l’île italienne de Lampedusa, au lendemain de la chute de l’ex-président Ben Ali, et les sérieuses difficultés que provoquent aux frontières de la Libye les rassemblements de candidats au départ avivent ces craintes.
Les pays du Sud de l’Europe, à commencer par l’Italie, sont les plus directement concernés par la pression migratoire venue de l’autre rive de la Méditerranée. Ils attendent notamment de leurs partenaires européens qu’ils prennent leur part du fardeau. L’Union s’est dotée d’un instrument pour coordonner la gestion et la surveillance de ses frontières extérieures, l’agence Frontex, qui a pour rôle de prévenir l’immigration illégale et, le cas échéant, d’apporter son aide au rapatriement des migrants dont la demande d’asile a été rejetée. L’agence, dont le siège est à Varsovie et dont le directeur est le Finlandais Ikka Laitinen, ne se substitue pas aux Etats membres mais organise avec eux des opérations conjointes. Elle peut mettre à leur disposition, en cas d’urgence, une force de réaction rapide.
« L’Europe en action »
José Manuel Barroso a rappelé que l’agence Frontex conduit avec l’Italie une opération conjointe, baptisée Hermès 2011, en Méditerranée centrale. Cette opération, a-t-il dit, aide le gouvernement italien à répondre à l’afflux des réfugiés. Elle peut assister tout Etat membre qui le demanderait. Le président de la Commission voit dans ce dispositif un exemple tangible de « l’Europe en action » et une démonstration de la « solidarité » entre ses membres. Il se dit prêt à mobiliser des fonds supplémentaires pour renforcer l’assistance européenne.
Cette assistance s’exprime déjà, a-t-il souligné, à travers l’aide humanitaire fournie par l’Union, à l’appel du Haut commissaire des Nations unies pour les réfugiés, pour ravitailler, soigner et loger les dizaines de milliers de réfugiés qui se pressent aux frontières libyennes. La Commission, qui a débloqué dans un premier temps une somme de 3 millions d’euros, vient de la porter à 10 millions. Ces fonds s’ajoutent à ceux qui sont envoyés par les Etats membres.
Les efforts de l’Europe permettront-ils d’éviter une grave crise au nord de la Méditerranée ? Tout dépend des événements à venir. Pour le moment, l’agence Frontex, dont le rôle est aussi de procéder à une « analyse des risques », reste confiante. Elle n’observe pas de mouvements d’immigration massifs en provenance des pays d’Afrique du Nord touchés par les révoltes populaires. Après avoir absorbé l’arrivée de quelques milliers de Tunisiens, aujourd’hui répartis entre divers centres d’accueil ou évanouis dans la nature, l’île de Lampedusa a retrouvé le calme. Quant à ceux qui s’entassent aux frontières de la Libye, ils semblent pour la plupart décidés à regagner leurs pays d’origine plutôt que de tenter l’aventure de l’exode européen.
Coopération avec les pays tiers
Toutefois on ne peut pas exclure que, dans les mois qui viennent, les désordres dans la région entraînent de nouveaux flux migratoires en direction du continent européen. A long terme, la meilleure réponse que celle-ci peut apporter aux pays en crise est de favoriser leur développement économique : José Manuel Barroso le rappelle, dans son discours du 2 mars, en leur proposant un « pacte pour la démocratie et la prospérité partagée ». La Banque européenne pour la reconstruction et le développement, créée en 1990 pour faciliter la transition dans les anciens pays communistes, a fait savoir, par la voix de son président, l’Allemand Thomas Mirow, qu’elle était prête, au prix d’une modification de ses statuts, à étendre son action aux pays arabes.
A court terme, l’Union européenne devra, selon les experts, agir dans trois directions. La première est le renforcement du rôle confié à l’agence Frontex, dont le budget devra être augmenté et les missions clarifiées, afin de lui permettre notamment de traiter directement avec les pays tiers. La seconde est celle d’une meilleure harmonisation des politiques nationales dans un domaine qui relève largement de la souveraineté des Etats membres et qui ne répond encore qu’imparfaitement aux exigences de la solidarité européenne.
La troisième direction est celle d’une étroite coopération avec les pays tiers, pays d’origine ou de transit de l’immigration. C’est le principal défi. Plusieurs régimes autoritaires du monde arabe, en particulier la Libye, s’étaient engagés, au terme de difficiles négociations, à mieux contrôler leurs frontières et à accepter sur leur sol le retour d’immigrés illégaux expulsés d’Europe. Cette politique a incontestablement freiné les mouvements d’immigration. Elle a aussi limité l’exercice du droit d’asile. Les nouveaux pouvoirs, plus respectueux des droits de l’homme, tiendront-ils les engagements pris par les dictateurs renversés ? Ou demanderont-ils une renégociation de ces accords de réadmission ? C’est une des incertitudes du proche avenir.