A quelques jours du référendum, il est impossible d’affirmer qui, du camp du "remain" ou de celui du "leave", emportera la mise. Le scrutin sera serré et, quelle que soit la majorité, elle risque d’être faible.
Bien entendu, si le non l’emporte, ce serait une grande première pour le processus de l’intégration européenne : un Etat s’en ira. Il faudra réfléchir aux conditions d’un nouveau statut pour le Royaume-Uni qui voudra conserver des liens avec le marché européen : membre de l’Espace Economique Européen comme la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein, signataire d’un accord bilatéral sur le marché intérieur comme la Suisse, membre d’une Union douanière comme la Turquie, simple signataire d’un accord de libre-échange comme le Canada. Tout ceci prendra au bas mot deux ans.
Contagion délétère
Au plan politique, l’effet de contagion risque d’être délétère. Aux Pays-Bas, au Danemark, en Hongrie ou en République tchèque, certains se demanderont pourquoi ne pas tenter ce que le Royaume-Uni a réussi. En France, le Front National n’a jamais officiellement appelé à la sortie de l’Union européenne. Seule celle de l’euro est visée dans ses discours. Qui nous dit que Marine Le Pen, dans le but d’appuyer sa campagne électorale en 2017, ne passera pas à une vitesse supérieure ? La sortie de la Grande-Bretagne aurait donc des conséquences non seulement pour ce pays, mais pour l’ensemble de l’Union européenne.
Dans le fond, le débat britannique sur le Brexit ne fait que mettre à jour la baisse de légitimité de l’Union européenne dans l’ensemble de l’UE et les tentations de nombreuses forces politiques au "détricotage" du processus d’intégration. Ce ne sont pas les Britanniques seuls qui ont inventé l’euroscepticisme. Leur référendum risque simplement de faire passer ce dernier à une vitesse supérieure.
La mise en oeuvre de l’accord de février
Si le Royaume-Uni reste dans l’Union, rien n’est réglé non plus. Tout d’abord, les eurosceptiques du Parti Conservateur demanderont à David Cameron de mettre en œuvre le compromis signé le 19 février 2016 avec ses 27 partenaires européens. Pour le Premier ministre britannique, ce compromis (largement concocté par les institutions européennes) n’avait pas beaucoup d’intérêt pour son contenu. La priorité était de disposer d’un texte en main qui permettait de rentrer à Londres en affirmant que le Royaume-Uni avait obtenu des concessions.
Mais ceux qui voulaient la sortie pure et simple du Royaume-Uni ne manqueront pas de revenir à la charge sur un contenu qu’il faudra transformer en réalité. Les problèmes de mise en œuvre ne seront pas minces.
Tout d’abord, la levée de l’engagement pour le Royaume-Uni de souscrire à l’objectif d’une "Union sans cesse plus étroite" ne pourra se faire que par l’ajout d’un protocole aux traités européens, et donc par une réforme du traité. Or, peu d’Etats membres de l’Union seront favorables à un tel chantier à court terme.
Ensuite, il faudra transformer en obligations juridiques les dispositions de l’accord politique visant à limiter les droits sociaux des travailleurs communautaires (surtout polonais) au Royaume-Uni.
Il n’est pas certain que ces textes soient adoptés facilement au Conseil des ministres de l’Union européenne. Et s’ils le sont, pourront-ils éviter d’être censurés a posteriori par la Cour de justice pour non conformité au droit européen ? Les eurosceptiques du Parti conservateur et les partisans de l’UKIP, sur leur droite, crieront donc à la trahison. De l’autre côté, si l’Ecosse se trouve contrainte de quitter l’Union en raison d’un non anglais, comment cela ne relancera-t-il pas à moyen terme la volonté de se démarquer de Londres et peut être un jour de fonder un Etat écossais membre de l’Union européenne ?
Une relance indispensable
Il ne faudra pas non plus compter sur le Royaume-Uni, si celui-ci choisit de rester, pour participer à un projet de relance politique de l’Union européenne. Or cette relance est plus qu’indispensable. Voilà plus de huit ans que l’Union européenne gère des crises (de l’euro, des réfugiés, du Brexit) sans pouvoir se projeter en avant. Il faut bien qu’à un moment elle retrouve le chemin de l’avenir en proposant un nouveau projet politique, par exemple autour d’une zone euro réformée.
Mais ce sera sans le Royaume-Uni qui aura à cœur de faire savoir qu’il ne faut pas aller trop loin dans l’idée d’un éventuel noyau dur qui pourrait marginaliser ceux qui ne veulent pas aller plus loin dans l’intégration politique. La Pologne du PiS, le Danemark ou la Suède auront à cœur d’appuyer cette revendication britannique considérée légitime.
Pour que cette relance ait lieu, encore faut-il que Paris et Berlin réussissent à trouver un compromis après les élections de 2017. Tout dépendra de qui sera élu président en France et chancelier à Berlin. Chacun devra mettre de l’eau dans son vin. Les Français devront accélérer les réformes structurelles de leur économie, malgré les corporatismes archaïques qui feront front. La résistance à la réforme du marché du travail introduite par le gouvernement Valls en a été récemment une belle illustration.
Les Allemands devront partager plus volontiers les dividendes de leur relance par une solidarité financière assumée. Le populisme allemand visant à affirmer qu’il ne faut plus payer un sou est aussi délétère que le conservatisme social français pour l’avenir du projet politique européen.
Une chose est bénéfique dans le débat du Brexit : celui-ci pose de manière ouverte les termes de l’avenir du projet politique européen. Que le "remain" ou le "leave" l’emporte, rien ne sera réglé d’un coup de baguette magique au sein de l’Union européenne. Le Brexit a cette vertu de rendre plus difficile la politique de l’autruche.