Dans quelques jours la guerre en Ukraine entrera dans sa deuxième année. C’est le 24 février 2022 qu’a commencé en effet l’agression russe qui a semé la désolation et la mort chez son grand voisin, au mépris du droit international et en violation de l’intégrité d’un Etat souverain. L’anniversaire de ce coup de force est l’occasion de souligner qu’en un an le monde a changé et qu’au temps des relations pacifiées entre les grandes nations, rendues possibles pendant une trentaine d’années par la fin de la guerre froide, a succédé sur le sol européen celui de la violente confrontation militaire, aussi violente qu’inattendue, à l’initiative d’une grande puissance, l’un des cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU. En envahissant l’Ukraine, la Russie a choisi de mettre fin aux efforts de coopération pacifique qui accompagnaient la mondialisation. La guerre est désormais le langage dominant.
Depuis un an, l’ordre international qui s’était établi au lendemain de la chute du communisme est bouleversé par la détermination d’un homme, Vladimir Poutine, devenu fauteur de désordres et de destructions. Ce qui s’annonçait comme une ère de paix après la dislocation de l’URSS s’est soudain transformé, selon la volonté du maître du Kremlin, en un affrontement meurtrier entre deux grands pays européens, au risque de déclencher un cataclysme comparable aux deux guerres mondiales du XXème siècle. Oui, nous sommes entrés en quelques mois dans un autre monde, dont nul ne peut prévoir ce qu’il sera demain. La célèbre formule de Raymond Aron en 1947, « guerre impossible, paix improbable », est-elle encore valable aujourd’hui ? On peut se le demander.
Certes l’après-guerre froide, ces trente dernières années, n’a pas été exempte de conflits meurtriers. Que l’on pense aux guerres de l’ex-Yougoslavie ou à celles d’Irak et de Syrie, la chute du mur de Berlin, saluée comme l’aube d’une nouvelle ère, n’a pas toujours apporté la paix. Mais ces conflits ne sont pas comparables à celui qu’a décidé de lancer la Russie contre l’Occident. L’attaque contre l’Ukraine apparaît en effet comme une première étape dans l’expansion de l’empire russe, qui menace toute l’Europe et témoigne d’une volonté de domination. Elle remet en cause tous les accords conclus entre les grandes puissances dans le cadre de l’ONU et défie les démocraties occidentales dont elle rejette les valeurs, auxquelles la Russie semblait souscrire après l’effondrement du communisme.
Clarifier les buts de guerre
Comment mettre fin à cette vaste opération de déstabilisation qui, par-delà l’Ukraine, vise l’ensemble du monde occidental et laisse planer la terrible perspective d’une troisième guerre mondiale ? Après avoir été tentés de ménager la Russie pour éviter une escalade militaire et rendre possible l’ouverture de négociations, les dirigeants des pays qui sont venus au secours de l’Ukraine en lui livrant des armes ont changé de langage. L’illusion d’un dialogue au sommet s’est dissipée. Au moment où se prépare une nouvelle offensive de l’armée russe, l’objectif des alliés de l’Ukraine est désormais d’assurer la victoire de Kiev et par conséquent la défaite de Moscou. On ne sait pas exactement ce que signifient ces mots et comment seront mesurées la défaite de l’une et la victoire de l’autre. Qu’en sera-t-il notamment de la Crimée que les Ukrainiens entendent bien reconquérir ?
Il reste donc à clarifier les buts de guerre des alliés de l’Ukraine, à commencer par les Etats-Unis, mais certaines ambiguïtés commencent à être levées : le soutien à l’Ukraine est affirmé avec de plus en plus de force, à mesure que Vladimir Poutine multiplie les bombardements sur des cibles civiles. On a du mal à imaginer comment finira cet affrontement tragique, qui est en train de changer la face du monde. Ce qu’on sait, c’est que les liens de l’Ukraine avec les démocraties occidentales ne cessent de se resserrer, en particulier avec l’Union européenne, en dépit des divergences qui subsistent entre certains de ses Etats membres. Ces divergences tendent à s’aplanir, au point que l’entrée prochaine de l’Ukraine dans l’Union européenne paraît de plus en plus probable, sinon tout à fait certaine.
Pour l’Europe, la guerre d’Ukraine a changé la donne. De l’Allemagne à la France, en passant par le Royaume-Uni, même s’il est désormais hors de l’Union, les Etats du Vieux continent augmentent d’une manière spectaculaire leur budget militaire, renforçant leurs moyens de défense et leurs liens avec l’OTAN. L’idée d’une défense européenne, dont on parle depuis tant d’années sans la mettre vraiment en œuvre, entre peu à peu dans les faits, même s’il reste encore beaucoup à faire pour aller vers une force commune. L’Europe de la défense cesse d’être perçue, notamment en France, comme concurrente de l’OTAN, elle apparaît aujourd’hui comme complémentaire. L’Ukraine aspire à rejoindre à la fois l’Union européenne et l’OTAN. La grande question sera de redéfinir, le moment venu, les relations de ces deux institutions avec la Russie, quel que soit le résultat de la guerre en cours.
Thomas Ferenczi