Le retour de Lula

Au Brésil, à dix-huit mois de l’élection présidentielle d’octobre 2022 qui désignera le successeur de Jair Bolsonaro, la campagne vient de connaître un rebondissement inattendu : le retour en lice de l’ancien président Luiz Inacio Lula da Silva, dit Lula, dont les condamnations pour corruption, qui le rendaient inéligible, ont été annulées pour vice de forme par un juge du Tribunal suprême. Jusqu’ici, jusqu’à ce coup de théâtre politico-judiciaire, la victoire de Jair Bolsonaro en 2022 paraissait assurée. En dépit de sa mauvaise gestion de la pandémie et de la médiocrité de son bilan économique, le président brésilien continue en effet de disposer d’un socle électoral solide alors même que son opposition, affaiblie et divisée, ne s’est pas encore remise de ses échecs.

De tous les candidats dont les noms circulaient ces derniers mois pour affronter Jair Bolsonaro, aucun ne paraissait en mesure de l’inquiéter. La gauche, en particulier, écartée du pouvoir depuis la destitution de la présidente Dilma Rousseff en 2016, l’héritière de Lula à la tête de l’Etat, n’avait pas encore trouvé la personnalité capable de prendre le relais de ces deux dirigeants. Le Parti des travailleurs, principal outil de leur action, était en net recul après avoir été associé aux accusations de corruption. Il avait subi, il y a quelques mois, un important revers aux dernières élections municipales. Bref, dans l’extrême polarisation de la vie politique brésilienne entre partisans et adversaires de Jair Bolsonaro, les premiers pouvaient se prévaloir d’un avantage certain sur les seconds.

Une machination politique

Les cartes sont aujourd’hui rebattues. La concurrence de Lula, une fois écartées les charges de corruption qui lui avaient valu d’être emprisonné pendant 580 jours, paraît autrement sérieuse. Les premiers sondages publiés au lendemain de la décision du juge promettent déjà la victoire à l’ancien président. Celui-ci s’est lancé dans la campagne avec la fougue et le talent qu’on lui connaît. Dès sa sortie de prison, en novembre 2019, alors qu’il était encore inéligible, il a pris pour cible le président sortant. « Nous devons avoir le courage de dire, oui, nous sommes le contraire de Bolsonaro », a-t-il alors lancé, en dénonçant un « gouvernement d’extrême-droite » responsable de la montée du chômage. Après l’annulation de ses condamnations, la voie du succès s’ouvre devant lui.

Rien n’est encore acquis pour l’ancien syndicaliste. Jair Bolsonaro ne se laissera pas faire. Il usera de tous ses pouvoirs pour empêcher Lula de prendre sa revanche sur ceux qui ont voulu l’éliminer de la vie politique, à commencer par l’ex-juge Sergio Moro, qui a mené l’enquête contre l’ancien président avant de devenir le ministre de Bolsonaro. D’ores et déjà il n’est pas sûr que l’annulation des condamnations soit maintenue. Le parquet, en effet, a fait appel. Il appartiendra aux onze juges du Tribunal suprême, réunis en séance plénière, de confirmer ou d’infirmer la décision. Leur jugement sera éminemment politique, comme l’ont été, pour une large part, les condamnations de Lula, venant après la destitution de Dilma Rousseff.

Le populisme de Jair Bolsonaro peut être vaincu démocratiquement, comme l’a été celui de Donald Trump aux Etats-Unis. Né en 1945, Lula aura 77 ans en octobre 2022 – un an de moins que Joe Biden lorsque celui-ci a été élu président. Beaucoup pensent qu’il a été victime, comme Dilma Rousseff, d’une machination politique dont l’ex-juge Moro a été le bras armé. Son retour sur la scène politique, s’il est avalisé par le Tribunal suprême, sera aussi un retour à l’Etat de droit. En cas de victoire, son retour au pouvoir serait salué par une grande partie du monde, qui juge sévèrement le « trumpisme » de Jair Bolsonaro, dangereux émule de l’ancien président américain, dont il partage, au-delà du style provocateur, le climato-scepticisme et l’attitude irresponsable face au coronavirus.

Thomas Ferenczi