Vladimir Poutine a l’ambition de réduire le flot de réfugiés syriens vers l’Europe et de former une coalition qui combatte l’organisation « Etat islamique » (Daech). C’est en tout cas le propos qu’il a tenu le 15 septembre, à l’issue d’une réunion au sommet des dirigeants de l’ex-Union soviétique au Tadjikistan.
La Russie est en effet de retour en Syrie depuis la fin du mois d’août après avoir décidé en mars de rapatrier une partie de son personnel militaire et civil.
Des informations de plus en plus précises ont fait état de la livraison de matériel militaire russe à la Syrie durant ces trois dernières semaines ainsi que de la construction d’une base russe à Jableh capable d’abriter un millier de militaires, au sud de la ville côtière de Lattaquié, devenue le fief de la famille Assad, au nord du port militaire russe de Tartous.
Ces informations ont été tour à tour démenties ou minimisées par Moscou. La récente déclaration du chef du Kremlin est une primeur. Elle vise à définir les contours d’une éventuelle négociation avec la coalition arabo-occidentale opposée au dictateur de Damas.
Coup double
En se positionnant ouvertement sur le terrain syrien, Vladimir Poutine fait coup double puisqu’il se pose aussi en parrain de l’alliance entre Damas et Téhéran, dont les troupes de l’unité al Quds alliées au Hezbollah sont présentes en Syrie depuis 2012.
C’est Bachar el Assad qui a demandé lui-même l’assistance de la Russie lors d’une intervention télévisée diffusée sur huit chaînes de télévision russes à la fin du mois de mars. A ce moment-là les analystes ne donnaient pas cher de la survie du régime.
Des règlements de comptes au sommet du pouvoir à Damas avaient eu pour conséquence d’écarter des responsables des services de sécurité dont certains avaient été éliminés physiquement et d’autres mis à pied et en résidence surveillée.
Parmi ces derniers, le général Ali Mamelouk, le responsable des services le plus proche de la présidence syrienne, accusé de complot contre l’Etat. Ecarté puis réhabilité durant le mois de mai, ce haut gradé de confession sunnite était parmi les responsables militaires syriens les plus critiques vis-à-vis de la main mise iranienne sur le pouvoir à Damas.
C’est justement ce même Ali Mamelouk que Moscou vient d’utiliser pour tenter une médiation à Riyad avec le prince saoudien Mohamed Ben Salmane, ministre de la Défense, vice-prince héritier et surtout fils du roi Salmane. Soit dit en passant, le prince Mohamed Ben Salmane est l’artisan de l’offensive saoudienne au Yémen, qui a commencé au mois de mars pour combattre les rebelles Houthi alliés de l’Iran. Il aura réussi ainsi à enliser Riyad dans un conflit sanglant sur les marches du royaume, le détournant de son conflit avec Damas.
L’ennemi affiché est Daech
Remarquablement discret depuis la signature de l’accord sur le nucléaire, l’Iran laisse faire. Les dirigeants iraniens ne veulent s’opposer ni à Moscou ni à Washington. L’ennemi affiché de tous les protagonistes du conflit syrien est Daech. Il est en effet plus aisé de se placer sur ce terrain pour pouvoir compter dans une future négociation.
On ne peut pas reprocher à Vladimir Poutine de ne pas avoir consulté ses pairs, puisqu’il a reçu en juin le président turc Recep Tayyip Erdoğan avant que celui-ci, sentant le vent tourner, ne s’attaque aux séparatistes kurdes du PKK alliés aux kurdes syriens du PYD, deux mouvements ayant bénéficié de la protection du dictateur de Damas allié de Moscou.
Poutine a également reçu en juillet le prince saoudien Mohammed Ben Salmane et, le mois suivant, le ministre des Affaires étrangères du royaume, Adel Al-Jubeir, pour proposer une large coalition de lutte contre Daech. Il s’est vu opposer une fin de non-recevoir. Au lieu de cela, les Saoudiens et leurs alliés émiratis ont accru leur offensive sur le Yémen qu’ils considèrent comme leur pré carré.
Moscou n’a pas non plus négligé Israël puisqu’il lui a été proposé la protection de ses installations gazières offshore. Fin de non-recevoir également.
Enfin, pour compléter ce tour de table, le très discret général Ghassem Suleimani, chef de l’unité al-Quds chargée des opérations extérieures des Pasdaran iraniens, s’est également rendu à Moscou au mépris des sanctions de l’ONU. Aucune information n’a filtré sur cette mission dont on se doute bien de l’objet au vu de l’évolution des événements.
Le coup de maître qui a changé la donne
Tant d’ingratitudes de la part des Turcs, des Arabes et des Israéliens envers le maître du Kremlin n’ont pas découragé Moscou, bien au contraire. C’est à Washington que Poutine adresse un message, sans oublier l’Europe tétanisée par l’afflux des réfugiés et la menace des attentats.
Pour combattre Daech, Vladimir Poutine a envoyé des troupes au sol en Syrie et reste ouvert à une coalition militaire pour combattre le mouvement islamiste qui recrute à tour de bras autant dans le Caucase que dans les pays arabes et européens.
La condition que pose Moscou est le maintien du régime au pouvoir à Damas, qu’il considère comme un allié incontournable.
Le coup de maître de Vladimir Poutine a changé la donne. Washington est embarrassé et l’Europe se divise. Quant aux Arabes, ils sont aux abonnés absents.
Ce n’est pas la moindre victoire du maître du Kremlin.
Cela suffira-t-il à sauver Bachar el Assad ?
Mais, au fond, mis à part les 23 millions de Syriens, dont quasiment la moitié est déplacée par le conflit le plus sanglant de ce siècle, qui s’en préoccupe ?