Les Etats-Unis dans la tourmente

Après neuf longues semaines d’obstruction, de dénégation et d’intimidation de la part de Donald Trump, Joe Biden vient enfin d’être proclamé officiellement vainqueur de l’élection présidentielle américaine. Le président sortant n’a cessé d’affirmer qu’il était, lui, le vrai vainqueur et que Joe Biden ne l’avait emporté, en apparence, qu’en falsifiant les chiffres, mais il a dû s’incliner devant l’évidence. Tous les recours étant épuisés, devant la justice comme au Congrès, il s’est résolu à promettre une transition pacifique, même s’il n’a pas changé d’avis sur les fraudes supposées dont il se prétend victime. La démocratie a donc prévalu, le vote des électeurs a été respecté et les institutions chargées de garantir l’expression de la volonté populaire ont tenu bon.

Il s’en est fallu de peu. Ou plutôt la menace d’un coup de force, auquel nul ne voulait croire, est devenue réalité, l’espace d’une nuit, à Washington, même si ses chances de succès étaient nulles et si l’émeute à laquelle on a assisté ressemblait moins à une tentative de putsch qu’à une manifestation qui a mal tourné. Il n’empêche : ce qui s’est passé devant le Capitole le 6 décembre au moment où les deux chambres du Congrès se réunissaient pour certifier la victoire de Joe Biden, est d’une exceptionnelle gravité. Quels que soient les mots employés par les commentateurs et même si ceux d’insurrection, de sédition ou de tentative de coup d’Etat peuvent paraître, avec le recul, exagérés, une foule d’activistes en colère a tenté, en envahissant le Capitole, de faire obstacle à l’élection démocratique du président choisi par une majorité de l’électorat.

Donald Trump est largement responsable des affrontements qui ont opposé les manifestants aux forces de l’ordre et provoqué la mort de quatre personnes. Par son refus obstiné de reconnaître sa défaite et ses accusations répétées de tricheries à l’égard des démocrates, il a chauffé à blanc ses millions de partisans dont une partie a choisi de recourir à la violence pour se faire entendre, au détriment de l’Etat de droit et des règles du processus électoral. Convaincus par les affirmations sans preuves assénées jour après jour par le président sortant, ces militants radicalisés se sont laissés emporter par une passion vengeresse, au risque de mettre à mal les institutions qui assurent le bon fonctionnement de la démocratie. Cet égarement n’a duré que quelques heures mais il laissera des traces.

Un avertissement

Ces traces affecteront d’abord le Parti républicain qui a mené une bataille sans espoir contre la certification de Joe Biden et perdu le même jour deux élections cruciales en Géorgie, une double défaite qui sonne comme un avertissement lancé par ses électeurs. Le parti de Donald Trump est aujourd’hui profondément divisé entre ses jusqu’au-boutistes, auxquels appartient le président sortant, et ses modérés, qu’a ralliés tardivement le vice-président Mike Pence. Ces deux courants vont s’affronter dans la perspective de l’élection de 2024. Il n’est pas sûr que Donald Trump soit en mesure, comme on lui en prête l’intention, de se porter candidat dans quatre ans après le désastre de la fin de son mandat. En tout état de cause, qu’il décide ou non de créer un nouveau parti pour rassembler les extrémistes qui lui resteront fidèles, sa route sera semée d’embûches.

Mais le fossé creusé par le comportement erratique du président sortant ne se limite pas au Parti républicain. Il concerne la société américaine dans son ensemble, déchirée plus que jamais entre les nostalgiques d’un ordre ancien largement fantasmé, qui se reconnaissent dans les combats de Donald Trump, et les défenseurs d’un progressisme apaisé, plus ouverts au monde de demain, qui se sont ralliés à Joe Biden. Ces deux Amériques se tournent le dos dans une incompréhension persistante et parfois un solide mépris mutuel. Les incidents du Capitole ont porté ces sentiments à leur paroxysme, un peu comme le mouvement des « gilets jaunes » en France a révélé les profondes fractures du pays.

Il appartiendra à Joe Biden de tenter de réparer le tissu social américain et d’abord de restaurer la confiance de tous dans les institutions démocratiques.
C’est en effet sur la fidélité à la Constitution que les Républicains se sont divisés au Congrès pendant la discussion sur la certification de la victoire de Joe Biden. Les uns, comme Mike Pence, ont placé le respect de la loi suprême avant la loyauté envers le président, les autres ont fait le choix inverse. Quel sera celui des 74 millions d’électeurs qui ont voté pour Donald Trump ? C’est l’une des questions que se posent avec angoisse les amis des Etats-Unis.