L’élection présidentielle américaine a montré que les protestants évangéliques blancs (WEP) demeuraient le fer de lance du trumpisme et la colonne vertébrale du parti républicain. Alors qu’ils ne sont que 18% de la population ils représentent environ le quart des électeurs. Leur mobilisation électorale est demeurée très supérieure à la moyenne. À la veille de l’élection, 90% d’entre eux déclaraient être certains d’aller voter et près de 80% ont voté en faveur de Donald Trump. Cette proportion a même atteint 89% en Géorgie et 86% en Caroline du nord. Dans les États du sud, ils forment la digue qui tente de faire barrage aux fortes vagues du changement démographique et culturel – voir les articles de Jennifer Rubin du 12 novembre et de Dana Milbank du 13 novembre dans le Washington Post. Au total, ce sont près de 40% des électeurs de Trump qui proviennent de cette population.
Le groupe des WEP ne donne pas seulement au parti républicain ses électeurs, il lui fournit aussi sa colonne vertébrale idéologique dont l’élément central est la défense de la suprématie blanche. C’est sur ce thème que s’est nouée sa rencontre avec Trump, qui représente à ses yeux l’envoyé de Dieu chargé de défendre la vision de la société qui est la sienne. Robert Jones, qui dirige l’Institut public de recherche sur la religion et qui est l’auteur de l’ouvrage White Too Long : The Legacy of White Supremacy in American Christianity paru en juillet 2020, estime que l’attachement des WEP à Donald Trump ne lui est pas acquis malgré son appel à la préservation de la suprématie de la race blanche mais à cause de lui. L’American Values Survey de septembre dernier montre par exemple que l’écrasante majorité des évangéliques blancs estiment que les meurtres d’afro-américains ne sont que des incidents isolés. Ils rejettent l’idée que l’esclavage et la longue discrimination dont ils ont été l’objet puisse expliquer la difficulté des Noirs à réussir dans la société américaine.
Il faut se rappeler que les WEP ont abandonné le parti démocrate après le Voting Rights Act de 1960 et sont devenus une force politique active au début des années soixante-dix pour défendre le ban on interracial dating (interdiction de fréquentation interraciale) instauré en 1950 à la Bob Jones University – une université chrétienne évangélique fondamentaliste privée – et supprimé seulement en 2000. La direction de cette université avait justifié à l’époque cette interdiction avec l’argument selon lequel ce n’était pas un hasard si Dieu avait créé des Blancs et des Noirs. La BJU n’a pas admis d’étudiants noirs jusqu’aux années soixante-dix. Les évangélistes blancs sont également en pointe pour défendre l’interdiction de l’avortement, qu’ils n’ont considéré comme étant un enjeu politique qu’au début des années quatre-vingt pour en faire ensuite l’un de leurs chevaux de bataille (voir l’article d’Olivier Galland sur Telos du 22 octobre 2019). Ils estiment que la société américaine est devenue trop « soft and feminine » et s’opposent au mariage entre personnes du même sexe.
Selon un dirigeant démocrate les Américains qui sont favorables à la suprématie blanche votent républicain, ceux qui ne le sont pas votent démocrates. Une telle vision est sans doute réductrice mais il ne fait pas de doute que l’un des principaux clivages de la société américaine demeure celui qui oppose les nostalgiques d’un pays dominé par les Blancs aux autres et que le vote massif des évangéliques blancs en faveur de Trump révèle la résistance de cette nostalgie.
Un groupe sur la défensive
Entre 2009 et 2019, les protestants évangéliques blancs ont vu leur proportion dans la population américaine diminuer de 21% à 18% tandis que les non affiliés religieusement sont passés dans le même temps de 15 à 28% (Pew Research Center). De manière générale, c’est l’ensemble de la population chrétienne qui a diminué, passant de 77% à 65%. Cette évolution s’est opérée par le processus du remplacement des générations. De la plus ancienne à la plus jeune des quatre générations actuelles la part des chrétiens représente respectivement 84%, 76%, 67% et 49% des membres de ces générations tandis que symétriquement celle des non affiliés représente 10%, 17%, 25% et 40%. Entre 2009 et 2019, le nombre de chrétiens est passé de 178 à 167 millions tandis celui des non affiliés est passé de 39 à 68 millions. Cette dernière population, en augmentation rapide, a voté pour Biden dans la proportion des deux-tiers. Robert Jones décrit ainsi la situation actuelle des évangéliques blancs : « a “time machine,” whereby the White evangelical Christians outsize vote has the effect of turning back the demographic clock by nearly a decade ».
Les WPE, du fait de leur forte mobilisation, masquent la montée d’une jeune population multiraciale et largement sécularisée. Jones explique que la génération Z, celle dont les membres sont nés après 1996, non prise en compte dans l’enquête ci-dessus, est « plus progressiste sur une série d’enjeux et plus favorable à une société pluraliste sur le plan religieux et racial. Elle est particulièrement réceptive au message du parti démocrate ».
Les WEP se sentent ainsi menacés. Interrogés sur l’existence éventuelle d’une discrimination à l’égard des Blancs et à l’égard des Noirs, 75% des Américains répondent que les Noirs sont discriminés et 32% que les Blancs le sont. Les WPE sont les seuls à estimer que la discrimination à l’égard des Blancs est plus importante que celle à l’égard des Noirs. Pour eux la question raciale existe mais ce sont les Blancs qui sont les principales victimes. A l’extrême opposé, les non affiliés estiment massivement que ce sont les Noirs qui sont discriminés.
Les WPE sont les plus nombreux (67%) à estimer que la religion perd de son influence dans la société américaine. Mais en même temps, le caractère extrême de leurs positions tend à les éloigner des autres chrétiens. Tandis qu’en 2020 ils ont voté massivement, comme en 2016, pour Trump, les catholiques et protestants non évangéliques ont partagé cette fois leurs votes entre les deux candidats. Chez les catholiques blancs, l’écart qui était en 2016 de 24 points en faveur de Trump n’est plus que de 13 points en 2020 (58% contre 71% en 2016). Sur la question de la justice raciale écrit Jones, « on assiste à une fissure dans le mur des chrétiens blancs : les catholiques blancs sont nettement moins attirés par la rhétorique brutale qui accompagne les peurs des évangélistes blancs. Ils ont une vision plus charitable des immigrés, des musulmans, des afro-américains et des LGTB ». Le fait que Biden soit le second président catholique après Kennedy a probablement contribué pour une part à cette évolution du vote catholique blanc. L’Église catholique se trouve ainsi divisée comme l’ensemble du peuple américain.
Les WEP sont également les plus nombreux (57%) à estimer que la culture américaine a changé pour le pire depuis les années cinquante et ils constituent le seul groupe à exprimer sa préférence pour un pays essentiellement chrétien, alors que les autres groupes se montrent favorables à la diversité religieuse. Dana Milbank écrit ainsi : « White evangelicals have become, in essence, an offshore island, one whose inhabitants are slowly but steadily distancing themselves from the American mainland. The fading Island of White Evangelical will, eventually, lose its influence over America. » Cette forte impression d’être menacés explique chez les WEP leur soutien inconditionnel, et exprimé de manière agressive, à Donald Trump. Ainsi, l’un des membres du think tank Falkirk Center de l’université évangélique privée Liberty University (LU), David Harris Jr, déclarait récemment : « If you’re a believer, and you believe God appointed Donald J. Trump to run this country, to lead this country, and you believe as I do that he will be re-elected the President of the United States, then friends, you’ve got to guard your heart, you’ve got to guard your peace. Right now we are at war. » Jim Garlow, un pasteur évangelique, estimait de son côté que le but de son ministère était d’apporter les principes bibliques de gouvernance aux dirigeants politique. et il affirmait : « Mr. Biden and Ms. Harris are at the helm of an “ideology” that is “anti-Christ, anti-Biblical to its core. » La crainte des évangélistes de perdre leur pouvoir politique s’exprimait récemment de la manière la plus claire sur FoxNews par la bouche du sénateur de Caroline du sud, Lindsay Graham, lui-même un chrétien évangélique, actuellement en première ligne pour tenter de faire invalider le vote présidentiel de la Géorgie en faveur de Biden : « If Republicans don’t challenge and change the U.S. election system, there will never be another Republican president elected again. » Avec ces quelques mots tout était dit.