Comment va le couple franco-allemand ? « Il va très très bien », répond l’ambassadeur d’Allemagne à Paris, Susanne Wasum-Rainer. La diplomate allemande était l’une des invitées d’un débat organisé sur ce thème, le 20 janvier, par le Cercle international de Neuilly. Pour elle, les « différences » entre les deux pays sont aussi des « atouts » car elles les obligent à chercher des compromis qui rassemblent autour d’eux l’ensemble de leurs partenaires européens.
« Le traité franco-allemand ne nous oblige pas à nous aimer, mais à nous parler », explique la représentante de Berlin à Paris. Elle rappelle que « la machine franco-allemande a été à l’origine de toutes les mesures de sauvegarde de la zone euro » et qui affirme que la politique étrangère, entre autres, donne lieu à une « coopération étonnante ». Mme Susanne Wasum-Rainer met l’accent sur les contacts quotidiens entre les deux administrations, sur les entretiens réguliers entre Angela Merkel et François Hollande (trois fois par semaine au téléphone) comme entre les ministres des affaires étrangères (une fois par jour). « Nous travaillons ensemble d’une manière extraordinaire », affirme-t-elle.
Un enthousiasme inégalement partagé
Les interlocuteurs de l’ambassadrice allemande ne partagent pas son enthousiasme. Le plus éloquent est l’eurodéputé français Alain Lamassoure, qui rapporte une conversation avec François Mitterrand à l’époque où il était lui-même ministre des affaires européennes dans le gouvernement Balladur. « Quand vous aurez un problème compliqué à résoudre, lui a dit l’ancien président de la République, vous irez voir les Allemands. Vous verrez, ce sont des brutaux, ils n’hésitent pas à mettre sur la table les sujets qui fâchent, mais à la fin, avec eux, nous y arrivons toujours. Car nous savons que nous portons sur nos épaules la responsabilité de l’Europe. Avec les Anglais c’est le contraire. Ils sont fins, intelligents, mais avec eux on ne peut rien faire ». Pour M. Lamassoure, « cela reste vrai ».
Le problème, dit-il, c’est qu’aujourd’hui « on ne se parle plus ». Le couple n’a plus le courage d’aborder les sujets qui fâchent, comme l’immigration, l’énergie ou la défense. « Nos relations sont bonnes, mais elles manquent de substance, comme on dit au Quai d’Orsay », ajoute M. Lamassoure. Ce qui manque, selon lui, c’est « une proposition commune franco-allemande pour faire avancer l’Europe », en particulier sur les trois sujets qu’il vient de citer. L’immigration ? Les traités permettraient aux Etats européens de mettre en place une politique migratoire commune mais « il n’y a pas de volonté politique ni à Paris ni à Berlin ». L’énergie ? C’est « le chacun pour soi », ce qui aboutit à « une situation ridicule ». La défense ? « Nous ne pouvons plus compter sur l’OTAN, il y a donc urgence à définir une politique commune, mais vingt-cinq ou vingt-six des armées européennes sont des armées d’opérette ».
Un nécessaire « examen de conscience »
Philippe Moreau Defarges, chercheur à l’Institut français des relations internationales (IFRI), estime que le couple franco-allemand n’a vraiment fonctionné qu’à deux moments : en 1950, lors de la création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), autour de Schuman et Adenauer, et dans les années 1980 et 1990, avec la marche vers l’euro, autour de Mitterrand et Kohl. Les deux pays devraient se livrer à un « examen de conscience » car « ni l’un ni l’autre ne sont crédibles », dit-il, la France en raison de sa « légèreté », l’Allemagne en raison de sa « frilosité ». L’Europe, selon lui, ne doit pas se comporter comme « une forteresse carolingienne » mais elle a besoin d’ouverture. M. Moreau Defarges souhaite notamment que la Grande-Bretagne reste dans l’Union. « Si elle sort, ce sera une catastrophe », à la fois parce qu’elle est « le pays le plus intelligent d’Europe » et parce que « la City de Londres est un formidable atout pour l’Europe ».
Le « triangle de Weimar »
Pour Jacques Rupnik, chercheur au Centre d’études et de recherches internationales (CERI) et spécialiste de l’Europe centrale, le couple franco-allemand a changé. La « connivence » et la « complémentarité » d’antan ont disparu en même temps que l’affaiblissement de la France diminuait sa crédibilité. Mais l’Europe a changé aussi puisque, dans une Union à vingt-huit, aujourd’hui divisée entre pays du Nord et pays du Sud, « le couple ne peut pas avoir la même capacité à influencer l’agenda européen ». Pour M. Rupnik, « ce qui émerge, c’est le triangle de Weimar », c’est-à-dire l’association entre la France, l’Allemagne et la Pologne, comme on l’a vu dans la crise ukrainienne. Enfin, « notre voisinage a implosé », de sorte que le partage des rôles entre une Allemagne plutôt tournée vers l’Est et une France tournée vers le Sud n’est plus tenable. Le couple doit s’adapter à son nouvel environnement.