Une nouvelle organisation européenne est née le 6 octobre à Prague : la Communauté politique européenne (CPE), qui a pour ambition de favoriser le dialogue politique entre ses membres et de renforcer la sécurité du Vieux Continent. Elle rassemble quarante-quatre pays, soit la quasi-totalité des nations européennes, à l’exception de la Russie et de la Biélorussie, devenues les ennemis du reste de l’Europe. Aux vingt-sept Etats de l’Union européenne s’ajoutent, outre le Royaume-Uni, qui l’a quittée il y a près de trois ans, la Turquie, avec laquelle les négociations sont dans l’impasse, la Norvège et la Suisse, qui ont refusé d’y entrer, tous ceux qui aspirent à en devenir membres, de l’Ukraine à la Moldavie, des Balkans au Caucase.
La création de cette nouvelle structure marque donc les grandes retrouvailles de l’Europe, par-delà les frontières de l’Union européenne, face aux deux parias que sont la Russie et la Biélorussie. Elle répond à la question posée par Emmanuel Macron le 9 mai devant le Parlement européen : « Comment organiser l’Europe d’un point de vue politique et plus large que l’Union européenne ? ». L’espace de coopération qui unit les Vingt-Sept, aussi riche soit-il, ne suffira pas, dans le nouveau contexte géopolitique, pour relever le défi russe. « Soyons clairs, a dit le président français, principal initiateur du projet, l’Union européenne, compte tenu de son niveau d’intégration et d’ambition, ne peut pas être à court terme le seul moyen de structurer le continent européen ».
Le rassemblement des quarante-quatre Etats européens sous la bannière d’une nouvelle communauté politique n’aurait pas été possible sans la guerre d’agression lancée par Moscou contre l’Ukraine. L’attaque russe a en effet renforcé la solidarité entre les pays du Vieux Continent, qui ont choisi de s’unir pour riposter aux menaces de Vladimir Poutine et de son allié biélorusse Alexandre Loukachenko. « Rassembler notre Europe dans la vérité de sa géographie, sur l’assise de ses valeurs démocratiques, avec la volonté de préserver l’unité de notre continent et en conservant la force et l’ambition de notre intégration », tel est l’objectif, selon Emmanuel Macron, de la nouvelle union. Vladimir Poutine y aura largement contribué.
La question de l’élargissement
La folle entreprise du président russe a rapproché la Suède et la Finlande, longtemps attachées à leur statut de pays neutres, de l’OTAN. Elle a permis au Royaume-Uni, via ses importantes livraisons d’armes, de revenir dans le jeu européen. Elle a également resserré les liens entre l’Union européenne et ses voisins de l’Est, tels que l’Ukraine, la Moldavie ou la Géorgie. A la « politique de voisinage » mise en place par Bruxelles pour asseoir la coopération entre les deux parties de l’Europe vont désormais se substituer, sous l’égide de la CPE, des relations plus étroites et plus substantielles, en attendant un nouvel élargissement de l’Union européenne.
La question de l’élargissement a d’abord mis en péril la proposition du président français. Son initiative a été mal reçue, dans un premier temps, par ceux des Etats qui souhaitent entrer dans l’Union européenne, à commencer par l’Ukraine, et qui ont exprimé la crainte que cette structure parallèle ne soit utilisée comme une voie de garage pour les en dissuader. Ce malentendu dissipé, la Communauté politique européenne a été rapidement mise sur pied. Tous ceux qui s’y sont ralliés ne veulent pas nécessairement adhérer, le jour venu, à l’Union européenne mais il est clair désormais que la participation à la CPE ne doit pas les en empêcher, même s’ils savent que leur future adhésion prendra beaucoup de temps et demandera beaucoup d’efforts.
Reste à préciser à quoi servira vraiment la nouvelle institution et quel sera le contenu de la coopération qu’elle rendra possible. Emmanuel Macron a suggéré quelques pistes en évoquant les questions de sécurité, d’énergie, de transport, d’investissements, d’infrastructures, de circulation des personnes et en particulier des jeunesses. Tout reste à faire. Il se peut que le projet se révèle sans lendemain et que les égoïsmes nationaux l’emportent une fois de plus sur la volonté de dialogue. Les difficultés ne vont pas manquer, en particulier celle qui résultera de la relation encore mal définie entre l’Union européenne et la nouvelle communauté. Pourtant les bouleversements provoqués par la guerre en Ukraine ont changé la donne. Une nouvelle Europe prend forme. Comme l’écrit dans Le Monde l’historien néerlandais Luuk van Middelaar, qui connaît bien le sujet pour avoir été le collaborateur de l’ancien président du Conseil européen Herman Van Rompuy, « l’essentiel réside dans le fait de signaler où se trouvent les nouvelles frontières de l’Europe ». La CPE peut donner un élan nouveau à la construction européenne.