En 1951, Raymond Aron publiait un livre intitulé « Les guerres en chaîne », une étude sur la Première guerre mondiale, grosse de la Deuxième, et sur la guerre froide, dont le politologue se demandait si elle était « la préparation ou le substitut à la guerre totale ».
Le même titre pourrait malheureusement être repris, dans un contexte tout à fait différent certes, à propos du Proche-Orient. Entre les Israéliens et les Palestiniens, ce sont des « guerres en chaîne » dont personne ne voit la fin. Comme le dit Abraham Burg, une personnalité de la gauche israélienne qui a quitté la politique active après avoir été président de la Knesset, « ici [au Proche-Orient], la guerre est juste une continuation de la guerre précédente. Une guerre après l’autre, sans solution ».
L’opération « Bordure protectrice » de l’armée israélienne qui est en cours à Gaza propose les mêmes images de mort que « Plomb durci » en 2008-2009. Les buts de guerre sont les mêmes – détruire les armements du Hamas qui menacent la sécurité d’Israël, les colonies d’abord mais aussi les grandes villes israéliennes depuis que l’organisation palestinienne a acquis chez ses (anciens) alliés syriens et iraniens des missiles d’une portée supérieure à 150 km.
Et le résultat sera sans doute le même : des centaines de morts, dont une majorité de civils, du côté palestinien, des victimes de plus en plus nombreuses (même si les proportions ne sont pas les mêmes) dans l’armée israélienne. Puis un cessez-le-feu bancal, une accalmie de quelques mois voire de quelques années, des négociations – « de la dernière chance » — plus ou moins sincères, avant la reprise des hostilités. Et ainsi de suite. Aucun des protagonistes ne détruira totalement l’autre, soit parce qu’il n’en a pas la capacité militaire, soit parce qu’il n’en pas en fait la volonté politique puisque sa survie dépend de l’existence de l’ennemi.
Le plus désespérant dans cette situation est que l’on sait depuis longtemps comment en sortir. Les principes d’une solution sont connus, au moins depuis les accords d’Oslo en 1993. Les diverses propositions énoncées depuis à plusieurs reprises – « paramètres Clinton » en 2000, accord de Taba de 2001, initiative de Genève en 2003, conférence de Charm-el Cheikh en 2011, etc. – ne sont que des variations autour des mêmes thèmes : création d’un Etat palestinien démilitarisé aux côtés d’Israël, à partir des frontières de 1967 avec des échanges de territoire, Jérusalem capitale des deux Etats, pas de retour massif des réfugiés en Israël même, mais indemnisation de certains d’entre eux.
Avec un minimum de courage politique, les dirigeants israéliens et palestiniens pourraient s’entendre sur ces principes. Mais chaque fois qu’un accord a paru proche, un incident souvent provoqué d’un côté ou de l’autre par ceux qui ne veulent de compromis à aucun prix, a fait dérailler les négociations. Avec l’usure du temps, ces principes qui paraissaient innovants il y a encore quelques années, sont devenus des incantations vidées de leur sens. La solution des deux Etats parait de plus en plus irréaliste.
On dit souvent, à juste titre, que Palestiniens et Israéliens sont incapables de s’entendre s’ils sont laissés à eux-mêmes, que l’implication de la communauté internationale est indispensable. On lui reproche son attentisme, voire son indifférence. Mais depuis la « diplomatie de la navette » d’Henry Kissinger dans les années 1970, combien de tentatives de médiation, américaine le plus souvent européenne parfois, ont été entreprises ? Toutes ont échoué.
Pour les mêmes raisons qu’a échoué ces derniers mois la médiation menée par le secrétaire d’Etat américain John Kerry. Parce que toujours, au dernier moment, une partie pose une condition dont elle sait qu’elle est inacceptable pour l’autre.
Alors la communauté internationale se retranche dans ses incantations habituelles. Face à la violence, elle invoque « la reprise » d’un imaginaire processus de paix, le droit d’Israël à vivre dans des frontières sûres et reconnues et le droit des Palestiniens à un Etat (il y a quelques années, on ajoutait « viable » ; maintenant on se contenterait d’un Etat tout court). Mais ces formules passe-partout répétées à l’envi sont la marque de l’impuissance à faire respecter le droit tout court.