Menaces sur la démocratie américaine

Joe Biden n’a pas mâché ses mots dans son discours de commémoration de l’assaut lancé sur le Capitole, le 6 janvier 2021, par les partisans les plus exaltés de Donald Trump, qui exigeaient l’annulation du scrutin présidentiel. « Ce n’était pas un groupe de touristes, c’était une insurrection armée », a-t-il lancé avec force en affirmant que les assaillants ne cherchaient pas, comme ils le prétendaient, à « défendre la volonté du peuple », mais à « nier la volonté du peuple ». Quant à Donald Trump, qui avait encouragé cette marche collective, Joe Biden l’accuse d’avoir répandu « un tissu de mensonges » sur les conditions de l’élection parce que « son ego meurtri compte plus pour lui que notre démocratie ou notre Constitution ».

Au-delà des errements personnels de l’ancien président, dont la responsabilité est fortement engagée dans ces événements dramatiques, au-delà de la polémique qu’il n’a cessé d’alimenter sur une prétendue tricherie dont il aurait été la victime, sans en apporter la moindre preuve, au-delà même des multiples manœuvres par lesquelles il a tenté d’annuler la victoire de Joe Biden en refusant sa propre défaite, ce qui est en cause désormais, un an après cet extraordinaire dérapage du processus électoral, c’est l’avenir de la démocratie américaine. Certes l’assaut contre le suffrage universel a échoué et Joe Biden a finalement été reconnu comme le gagnant de la bataille présidentielle, mais l’atteinte à la démocratie a laissé des traces.

Le poignard sous la gorge

Le président américain n’a donc pas tort de sonner le tocsin en invitant les Américains à tirer les leçons de ces violences. « Je ne permettrai à personne de mettre le poignard sous la gorge de la démocratie », a-t-il déclaré en termes imagés. « Nous vivons à un tournant de l’histoire », a-t-il ajouté. Ce tournant, c’est celui qui pourrait mettre fin aux principes démocratiques qui sont la marque des Etats-Unis depuis leur naissance et qui ont attiré vers ce pays des millions d’immigrés en quête de liberté et de prospérité. Un pays qui, malgré son lourd passé de racisme et d’esclavagisme, et malgré les fortes inégalités sociales qui le traversent, a mis en place un système politique qui donne au peuple le pouvoir de choisir librement ses dirigeants.

Ce système est-il menacé dès lors que les résultats de l’élection présidentielle peuvent être remis en cause, sans raison valable, par les perdants ? Les Etats-Unis pourraient-ils devenir, comme la Russie et la Chine, ses deux grands rivaux sur la scène internationale, des Etats « illibéraux », pour ne pas dire dictatoriaux, ennemis des libertés démocratiques, à commencer par celle du vote ? Assurément on n’en est pas là. Les Etats-Unis sont encore une démocratie vivante, loin des régimes en place en Russie ou en Chine. On peut pourtant s’inquiéter de son évolution et partager, avec Joe Biden, l’idée qu’« aux Etats-Unis comme à l’étranger, nous sommes à nouveau engagés dans une lutte entre la démocratie et l’autocratie ». Les mots sont forts, mais ils traduisent une réalité dont il importe de prendre la mesure.

Radicalisation

L’effet Trump continue en effet de produire son venin qui, en jetant un doute sur la légitimité de l’élection de Joe Biden, met à mal le respect des règles démocratiques. La radicalisation du Parti républicain, dont le centre de gravité s’est déplacé vers l’extrême-droite, rend presque impossible le dialogue avec la Maison Blanche, fondement du consensus sur lequel reposait naguère le système politique américain. Qu’on en juge par les dernières enquêtes d’opinion. Deux républicains sur trois considèrent que l’élection présidentielle a été « volée » et que le nouveau président occupe indûment la Maison Blanche. La moitié d’entre eux environ donnent raison aux assaillants du Capitole, qui auraient agi par « patriotisme » et pour défendre « la liberté ». Ils sont 40% à justifier la violence contre le gouvernement.

Ces chiffres sont préoccupants. « Une forme de guerre civile à bas bruit s’est enkystée aux Etats-Unis », souligne un éditorial du Monde, qui met en évidence les « affaissements » des institutions démocratiques et appelle à « réparer cette démocratie abîmée ». La montée des populismes, qui affaiblissent les mécanismes de la représentation politique, n’est pas propre aux Etats-Unis. Les mêmes périls menacent l’Europe, en particulier la France. Mais le poids de l’Amérique lui donne une responsabilité particulière. Il est important pour l’avenir des démocraties qu’elle se ressaisisse avant que le mouvement ne devienne irrésistible.