A l’approche des élections européennes du 9 juin 2024, les formations politiques se mettent en ordre de bataille. Dans les vingt-sept pays de l’Union, elles s’emploient à définir leurs programmes, à préciser leurs alliances, à fixer leurs stratégies et surtout à désigner leurs chefs de file. En même temps se préparent la désignation de la prochaine commission et la nomination du futur président (ou présidente), qui succédera à Ursula von der Leyen, si celle-ci n’est pas reconduite dans ses fonctions. Le résultat des élections pèsera sur le choix des nouveaux dirigeants européens, déterminant les orientations du futur exécutif. Bref l’année 2024 sera une année-clé pour l’Union européenne dont l’avenir dépendra largement du vote des électeurs.
L’enjeu du scrutin sera d’autant plus important que les partis d’extrême droite ont partout le vent en poupe et que leur influence sur la construction européenne peut se révéler décisive. Ces partis, qui refusent à tort ou à raison l’appellation d’extrême droite, se caractérisent principalement par leur nationalisme, leur souverainisme et leur euroscepticisme. Autant dire que leur idéologie est directement contraire à celle qui inspire, depuis sa création, l’Union européenne et que, s’ils venaient à en prendre la direction ou simplement à accroître leur ascendant sur ses politiques, ils porteraient un coup sévère aux valeurs démocratiques dont se réclame l’Europe. Les candidats de cette droite extrême, s’ils sont élus au Parlement européen, feront tout leur possible pour affaiblir, au nom du respect des Etats-nations, les ambitions d’une Europe unie.
Ils ne s’en cachent pas, en font même le cœur de leur programme. « Nous voulons 80% d’Europe en moins et plus d’autonomie nationale », déclare le chef de file de l’extrême droite allemande, Maximilian Krah, qui ajoute : « L’Europe du futur doit être une Europe des patries et non une Europe des bureaucrates ». Ses homologues européens, de Marine Le Pen (Rassemblement national à l’Italie Matteo Silvani (La Ligue) en passant par l’Espagnol Santiago Abascal (Vox), le Suédois Jimmie Akesson (Démocrates de Suède) ou le Hongrois Viktor Orban (Fidesz), partagent le même rejet d’une Europe forte, capable de s’organiser pour dépasser les égoïsmes nationaux. C’est ce rejet qu’a exprimé, parmi d’autres, Marine Le Pen en proposant solennellement, le 17 septembre, une « déclaration des nations et des peuples » destinée à faire pièce à l’Union européenne.
La tradition des régimes autoritaires
Les partis nationalistes ne s’opposent pas seulement à la construction d’une Europe unie, même s’ils ont renoncé pour le moment à en sortir, ils s’inscrivent aussi dans la tradition des régimes autoritaires hostiles à la démocratie libérale. Certes ils ont rompu officiellement avec leurs origines, que ce soit en France, en Italie ou en Allemagne, mais ils ne se reconnaissent pas pleinement dans les valeurs de l’Etat de droit, comme en témoignent notamment leurs sympathies non dissimulées pour Vladimir Poutine. Le modèle démocratique qui unit les Etats européens et qui est la condition de leur adhésion à l’UE n’est pas le leur. Comme l’écrit dans une tribune du Monde le diplomate Pierre Buhler, « ce schéma, fondement du projet européen, est mis en cause par la dynamique eurosceptique et souverainiste que porte l’ascension en Europe des formations d’inspiration populiste et illibérale, qui ont accédé au pouvoir ou s’en rapprochent, aspirant à démanteler l’édifice juridique de l’ordre européen » (Le Monde du 22 septembre).
Dans un monde où la loi du plus fort est devenue la règle, où le droit international est bafoué et les institutions chargées de le faire appliquer constatent leur impuissance, l’Europe reste le bastion de ces principes transgressés par les autocrates qui, à l’exemple de Vladimir Poutine, ne croient qu’aux rapports de force. On avait espéré, après le démantèlement de l’Union soviétique et les révolutions de couleur dans les pays d’Europe de l’Est, que le modèle démocratique allait l’emporter sur la puissance des armes. L’illusion a duré moins de vingt ans. L’Union européenne doit « continuer de démontrer qu’il existe une alternative à l’anarchie et à la loi du plus fort », selon les mots de Pierre Buhler. De ce point de vue, l’élection des eurodéputés, le 9 juin prochain, constituera un test décisif.
Thomas Ferenczi