Le plan proposé par la Commission européenne, en réponse aux arrivées massives de réfugiés sur les côtes de la Méditerranée, ne va pas résoudre d’un seul coup la difficile question de l’immigration en Europe mais, en prévoyant une répartition des demandeurs d’asile entre les Etats membres, quel que soit leur lieu de débarquement, il donne pour la première fois un contenu concret au principe de solidarité qui est censé unir les Européens. La Commission s’appuie sur une disposition du traité de Lisbonne qui prévoit qu’au cas où un ou plusieurs Etats membres se trouvent dans « une situation d’urgence caractérisée par un afflux soudain de ressortissants de pays tiers », le Conseil, sur proposition de la Commission, peut adopter « des mesures provisoires » au profit du ou des Etats membres concernés.
Il s’agit bien de répondre à une situation d’urgence par une action immédiate visant, comme l’a dit la haute représentante pour la politique étrangère, Federica Mogherini, à « sauver des vies » et à « protéger les personnes qui en ont besoin ». Le commissaire chargé de l’immigration, Dimitris Avramopoulos, a souligné, à juste titre, que « l’Europe ne peut pas être simple spectateur quand des êtres humains perdent la vie ». Les Européens sont donc invités à se mobiliser pour ne pas laisser aux seuls pays d’accueil, en particulier l’Italie, le poids du fardeau. « La question migratoire relève de la responsabilité de tous les Etats membres et chacun d’eux est appelé à contribuer à la solution de ce défi historique », a rappelé Mme Mogherini.
Si le plan de la Commission est adopté par les Vingt-Huit, chaque pays européen devra ainsi, en fonction de son PIB, de sa population, de son taux de chômage, accueillir un quota de réfugiés. Ce mécanisme temporaire de répartition sera complété, avant la fin de l’année, par un « régime européen permanent de relocalisation » dans les situations urgentes d’afflux massif. « La tragédie vécue par les milliers de migrants qui mettent leur vie en péril pour traverser la Méditerranée a provoqué une onde de choc, écrit la Commission, et il est désormais manifeste qu’aucun Etat membre ne peut et ne devrait rester seul face à d’énormes pressions migratoires ».
Quatre piliers d’une meilleure gestion
Ce projet de « relocalisation », qui vise à associer tous les Etats membres à l’accueil des réfugiés, est pas la seule mesure proposée par la Commission pour mieux réguler l’immigration sauvage, même si elle apparaît comme la mesure-phare. Il s’accompagne, dans le même esprit, d’un programme de « réinstallation » en Europe de migrants qui ont fui leur pays pour s’installer dans un pays tiers (20.000 en deux ans) et du lancement d’une opération en Méditerranée pour démanteler les réseaux de passeurs. A plus long terme, la Commission définit « les quatre piliers d’une meilleure gestion des migrations » : réduire les incitations à la migration irrégulière, assurer la sécurité des frontières extérieures, mettre en œuvre le régime d’asile européen commun, réorganiser la migration légale. Ces orientations ne sont pas nouvelles et certaines d’entre elles, comme le développement de l’immigration légale, ne font pas l’unanimité, mais elles semblent soutenues, sous l’impulsion de Jean-Claude Juncker, par une volonté politique accrue.
La difficulté sera de convaincre les chefs d’Etat et de gouvernement, lorsqu’ils se réuniront en juin, de faire preuve de la même volonté politique. D’ores et déjà, la Grande-Bretagne, qui est autorisée par le traité de Lisbonne à se soustraire aux politiques communes en matière d’immigration, a affirmé, par la voix de sa ministre de l’intérieur, Theresa May, qu’ « une telle approche ne fera qu’accentuer l’attrait suscité de l’autre côté de la Méditerranée et encouragera davantage de personnes à mettre leur vie en danger ». Il n’est pas question pour Londres, a-t-elle ajouté, de participer à « une réglementation qui imposerait un système contraignant de redistribution ou de relocation ». Le premier ministre hongrois, Viktor Orban, n’a pas hésité à parler d’une « idée folle ».
Hortefeux (PPE) : le risque d’un nouvel appel d’air
Au Parlement européen, si le groupe socialiste approuve le plan de la Commission, les conservateurs sont beaucoup plus réservés. Brice Hortefeux, au nom du PPE, s’inquiète de « deux risques majeurs : la déresponsabilisation des Etats en charge des frontières extérieures et la création d’un nouvel appel d’air ». Il affirme aussi que « notre capacité d’accueil et d’intégration a atteint ses limites ». Le président du groupe libéral, Guy Verhofstadt, ancien premier ministre belge, rappelle que six pays (l’Allemagne, la Belgique, la France, la Grande-Bretagne, l’Italie, la Suède) reçoivent 80% des demandes d’asile et que treize pays « ne font rien ». En France, Bruno Le Maire se dit opposé au projet. « Qu’on retire à chaque Etat sa souveraineté pour savoir qui peut ou ne peut pas accueillir des migrants ou qu’on fasse des quotas, je ne suis pas d’accord », a-t-il déclaré. Pour sa part, le ministre français de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, estime « normal qu’il y ait une répartition entre les différents pays de l’Union européenne ».
Le projet de la Commission est politiquement ambitieux mais il reste modeste quant aux résultats attendus. Ceux qui appellent, comme l’ancien ministre français des affaires étrangères Hubert Védrine, à un plan d’ensemble, à l’échelle mondiale, n’ont pas tort. Seule une internationalisation de la question, portée par une mobilisation globale, pourrait apporter des solutions satisfaisantes. Toutefois l’initiative de Jean-Claude Juncker représente un premier pas. Elle a surtout le mérite de mettre au pied du mur les gouvernements européens qui font trop souvent de Bruxelles le bouc émissaire de leur passivité.