Embrassons-nous, Folleville. Les chrétiens-sociaux et les sociaux-démocrates sont tombés dans les bras les uns des autres lors de la première séance plénière de négociations pour la constitution d’un gouvernement de grande coalition. Oubliées les polémiques de la campagne électorales ! Dans les poubelles de l’histoire les accusations réciproques entre dirigeants des deux grands partis ! Il s’agit maintenant de gouverner et de gouverner ensemble. Il n’y a pas d’autre choix pour Angela Merkel qui, malgré son succès aux élections du 22 septembre, a besoin d’un partenaire pour former une majorité au Bundestag. Les contacts avec les Verts ont échoué. Les libéraux, alliés pendant la dernière législature, ont été chassés du Parlement pour ne pas avoir atteint la barre des 5%. Reste donc le Parti social-démocrate. Si les négociations aboutissent, ce sera la troisième fois dans l’histoire de la République fédérale qu’une grande coalition est au pouvoir. De 1966 à 1969 puis de 2005 à 2009.
Du côté des sociaux-démocrates, l’enthousiasme a d’abord été limité. Le souvenir de la dernière alliance avec la CDU-CSU est amer. Au scrutin national qui a suivi, le SPD a obtenu son plus mauvais score historique. Mais là encore, il n’y a pas vraiment de choix. « L’opposition, c’est moche », avait dit un ancien président du Parti. Pour en sortir, il n’existe que deux moyens : ou gagner les élections – le SPD n’a pas réussi à convaincre une majorité d’électeurs des bienfaits d’une coalition avec les Verts – ; ou s’allier avec le parti le plus fort.
Il s’agit maintenant dans les négociations qui s’ouvrent d’obtenir un maximum de concessions du partenaire potentiel, en termes d’objectifs politiques et en termes de postes. C’est une affaire de longue haleine. Les négociations vont durer plus d’un mois encore, ce qui veut dire que le nouveau gouvernement ne sera formé que trois mois après les élections.
Elles font l’objet d’une organisation minutieuse. Rien n’est laissé au hasard. Le contrat de gouvernement comptera plusieurs centaines de pages et tentera d’envisager toutes les situations et tous les choix auxquels le futur gouvernement sera confronté, afin d’éviter les débats et les conflits inutiles. Plusieurs instances sont créées. Les séances plénières rassemblent 75 participants des trois partis : CDU, CSU – la branche bavaroise de la démocratie chrétienne –, et SPD. Il ne devrait y avoir que deux ou trois réunions de ce type. Les présidents des trois partis – Angela Merkel pour la CDU, Horst Seehofer pour la CSU, Sigmar Gabriel pour le SPD – sont à l’autre bout de la pyramide. Ils sont assistés par une petit « directoire » composé des principaux dirigeants des trois formations. Un groupe d’orientation chapeaute les douze groupes de travail et les quatre sous-groupes qui travaillent sur divers sujets : finances, immigration, affaires étrangères, Europe, etc. Un participant social-démocrate a eu ce mot : « ça me rappelle le congrès de Vienne », allusion au marathon diplomatique de 1815 qui établit l’ordre européen postnapoléonien.
L’objectif est de rédiger un contrat pour toute la durée de la législature, soit quatre ans. Le succès n’est pas garanti. Mais les Allemands n’aiment ni les gouvernements minoritaires ni de nouvelles élections. Le SPD n’y a d’ailleurs aucun intérêt car tous les sondages tendent à montrer que la CDU en sortirait encore renforcée.
Avant même la conclusion des négociations, les deux grands partis se sont organisés au Bundestag qui vient de tenir sa séance constitutive, pour se partager les postes de responsabilité. L’opposition est condamnée à la portion congrue. Sur 631 députés, la grande coalition pourrait compter sur quelque 500 élus. Le principal parti d’opposition est la gauche radicale Die Linke qui a un député de plus que les Verts. Il demande un changement du règlement du Bundestag voire de la Loi fondamentale pour assurer les droits de l’opposition quelle que soit sa force. Actuellement, il faut par exemple un quota de 25% des députés pour créer une commission d’enquête parlementaire. Les Verts et la gauche de la gauche n’en comptent que 20%. Ils considèrent donc qu’ils ne seront pas en mesure de contrôler efficacement le gouvernement.
Quand on leur pose la question, les Allemands sont théoriquement en faveur des grandes coalitions car ils y voient une forme de gouvernement fondée sur la recherche du compromis. Jusqu’à maintenant, les politologues pensaient que la grande coalition était une exception. Dans un paysage politique allemand qui a beaucoup changé depuis la réunification de 1990. Avec cinq partis qui concourent aux élections avec une chance d’entrer au Parlement – l’élimination des libéraux n’est sans doute que provisoire –, les combinaisons deviennent plus nombreuses mais plus compliquées. Elles accroissent la tentation des deux partis les plus forts de se partager le pouvoir.