Paradoxalement, le président français souffre davantage que beaucoup de ses voisins européens en termes de popularité. La cote de confiance de Silvio Berlusconi demeure exceptionnelle. Angela Merkel, bien qu’il lui ait été reproché de n’avoir pas pris la mesure de la crise, continue de bénéficier d’un état de grâce peu commun. Et si José Luis Rodriguez Zapatero a vu sa popularité s’éroder, ce fléchissement est sans commune mesure avec l’exceptionnelle gravité de la crise économique qui frappe l’Espagne. Nicolas Sarkozy, en revanche, comme son homologue britannique, plonge dans les sondages. On ne peut pas reprocher pourtant au président français de s’être montré attentiste ou d’avoir fait preuve d’immobilisme face à la crise. Parmi les dirigeants occidentaux, il est l’un de ceux qui a réagi avec le plus d’énergie, le plus de détermination et peut-être même, après Gordon Brown, le plus de célérité.
Président en exercice du Conseil européen à l’automne 2008, il a largement contribué à mobiliser ses partenaires européens autour de la réponse financière à la crise bancaire. On se souvient qu’il a aussi été le premier à appeler une réponse économique concertée et coordonnée des Etats européens même si, en définitive, il n’a pas eu gain de cause. L’opposition critique aujourd’hui l’insuffisance de son plan de relance. Sans doute pourrait-on souhaiter un effort de l’Etat plus conséquent encore à l’exemple de ce que font les Etats-Unis ou la Chine. Mais il est difficile aussi de juger de l’efficacité ou de l’inefficacité d’un plan de relance alors même qu’il vient tout juste d’être mis en œuvre. Il est d’ailleurs à remarquer que tout en récusant l’élaboration d’un nouveau plan de relance, le gouvernement annonce déjà de sérieux compléments au premier plan de relance avec l’annonce d’un effort exceptionnel de 1,5 milliards en faveur de la création de 100000 emplois durables pour les jeunes.
Comment, dès lors, expliquer la désaffection profonde dont souffre Nicolas Sarkozy dans l’opinion en dépit de son incontestable activisme en ce temps de crise ?
Concentration des pouvoirs et incohérence du discours
Cette perte de confiance tient à la conjonction de plusieurs facteurs. Le mode de gouvernance du président tout d’abord. Tous les pouvoirs sont concentrés à l’Elysée. Tout ramène à Nicolas Sarkozy, doléance, décisions, initiatives, annonces. Les ministres, fragiles et simples exécutants n’existent, à quelques exceptions près, que parce qu’ils ont été choisis par le chef de l’Etat. Incapables de tenir tête au président, ils sont en permanence humiliés par lui et recadrés par ses conseillers élyséens. Le Premier ministre lui-même n’est remis sur le devant de la scène qu’aux rares occasions où le président estime devoir en user comme d’un paravent. Quand tout va bien, le président tire à lui tout le bénéfice de cet exercice solitaire du pouvoir. Dès lors que la situation se dégrade, il est tenu responsable de tous les maux.
Une deuxième raison explique l’impopularité du président : l’incohérence de son discours et son permanent slalom idéologique. Nicolas Sarkozy se fait un jour le procureur du trop d’Etat, le lendemain l’avocat du plus d’Etat. Le même réclame d’un côté la réduction du nombre de fonctionnaires et la diminution du périmètre étatique au nom de la maîtrise des dépenses publiques et, de l’autre, multiplie les interventions sonnantes et trébuchantes des pouvoirs publics pour renflouer les banques, pour sauver le secteur automobile ou pour accompagner les plans sociaux. Pour ne pas se déjuger, le président refuse mordicus de revoir un « bouclier fiscal » qui a permis à quelques 834 contribuables de recevoir un chèque moyen de 368000 euros. Ce qui ne l’empêche pas dans la foulée de s’en prendre aux bonus en tous genres et de chercher à détourner la grogne syndicale à l’encontre d’un patronat dont la présidente se montre d’une grossière maladresse.
Annonces intempestives
Incohérente encore, cette manière qu’a le chef de l’Etat, au nom de la fidélité à ses promesses, de continuer à s’afficher comme le président du « travailler plus pour gagner plus » quand, à l’évidence, l’emploi fait partout défaut et que le pouvoir d’achat dégringole. L’opinion a en tous les cas le plus grand mal à comprendre comment un Etat peut se montrer si généreux lorsqu’il s’agit de sauver le système bancaire et si regardant dès lors qu’il faut panser les plaies sociales. Le président croit à l’action mais plus encore peut-être au verbe. A abuser de ce dernier quotidiennement sur tous sujets et en tous sens sans craindre de se contredire d’un jour à l’autre, le chef de l’Etat a lui-même contribué à décrédibiliser sa parole et à la transformer en bavardage inaudible.
Non seulement, le président peine à mobiliser l’opinion mais, plus grave peut-être, il contribue à susciter des antagonismes. On voit bien comment il encourage la colère des organisations syndicales contre le patronat en sorte de la détourner de la cible gouvernementale. On a vu aussi comment il a réussi par ses propos ou ses annonces intempestives, plus que par les réformes entreprises, à s’aliéner des catégories entières de la population : syndicalistes qu’il a voulu ridiculiser, professeurs et chercheurs qu’il s’est plu à humilier publiquement, magistrats qu’il a méprisés, journalistes qu’il tient en piètre estime.
Anticiper l’avenir
Ces facteurs de discrédit sont réels. Ils demeurent anecdotiques cependant au regard d’une raison beaucoup plus profonde : l’incapacité du président français, comme d’ailleurs de ses partenaires européens, à dépasser les solutions pragmatiques de circonstances pour anticiper le développement et la résolution à venir de cette crise financière et économique sans précédent depuis la deuxième guerre mondiale. L’opinion publique a l’impression, en effet, que les dirigeants français font le gros dos, tentent de désamorcer les risques d’explosion sociale, remisent les réformes tout en annonçant qu’il n’en est rien afin de ne pas créer de tensions supplémentaires mais, à la vérité, demeurent dans une totale expectative quant à l’avenir.
Or, c’est bien la capacité à se projeter dans l’avenir, à en dessiner les contours et à dire le type de société que l’on souhaite voir sortir de cette crise qui serait susceptible de rendre confiance à l’opinion publique. Les Etats-Unis et la Chine ont mis en place des plans colossaux pour sortir de la crise : entre 800 et 1000 milliards de dollars de chaque côté, soit 5% du PIB aux Etats Unis et 2% du PIB chinois par an durant trois ans. Les deux grandes puissances se sont visiblement accordées pour trouver un modus vivendi entre le dollar et le yuan. Pékin a stabilisé le taux de change de sa monnaie par rapport au dollar et la Chine va continuer à financer le déficit courant américain. Les deux pays se préparent déjà de concert à la reprise de la croissance qui, lorsqu’elle interviendra profitera aux deux. Pendant ce temps, la France et l’Europe continuent de se focaliser sur la réglementation des paradis fiscaux - ce qui n’est pas sans intérêt mais qui demeure bien secondaire au regard des mesures que les pays de l’Union devraient prendre de concert pour extrapoler le redémarrage de la croissance et réfléchir au rôle que devront désormais jouer les Etats pour mieux la maîtriser.