Ces derniers temps, des peuples qu’on croyait soumis ou résignés se révoltent contre leurs dirigeants. Cela se passe en Asie (Birmanie), en Afrique (Algérie) ou en Europe (Biélorussie, Russie) : face à la violence et à l’oppression, des foules se mobilisent pour protester et dire non à ceux qui prétendent leur imposer leur volonté. Leurs luttes ne se confondent pas mais elles se ressemblent, malgré la diversité des situations et des histoires. Elles sont à la fois pacifiques et spontanées, opposant la tranquille manifestation de leur refus aux manœuvres d’un pouvoir qui ne les entend pas.
Ces mouvements tentent d’occuper la rue pour exprimer leur colère. Ils n’hésitent pas à braver les forces de l’ordre, qui ripostent et parfois tuent. Le nombre des manifestants varie selon les pays et selon les moments, mais la contestation ne faiblit pas. Elle se produit par vagues, enfle un jour, se retire le lendemain puis repart de plus belle. Rien ne l’arrête vraiment ni la crise sanitaire ni la répression policière.
De Nemtsov à Navalny
A Moscou, ils ont été des milliers, le 27 février, à rendre hommage à l’opposant politique Boris Nemtsov, le jour anniversaire de son assassinat, il y a six ans, par des hommes de main venus du Caucase. Les commanditaires de ce crime n’ont jamais été identifiés mais nul ne doute de la responsabilité des services secrets russes. Les persécutions contre l’opposant Alexeï Navalny, jeté en prison après avoir été victime d’une tentative d’empoisonnement, montrent que le combat pour la démocratie continue en Russie et qu’il se trouve encore des hommes courageux pour se dresser contre un pouvoir tyrannique.
Par sa présence, Ioulia Navalnaïa, l’épouse d’Alexeï Navalny, soulignait cette continuité. De Nemtsov à Navalny se transmet l’esprit de la révolte. « La mémoire de Boris ne sera pas effacée, a déclaré l’ancien premier ministre Mikhaïl Kassianov, devenu l’un des porte-parole de l’opposition. Je suis certain que ce pour quoi Boris se battait, la liberté des Russes, leur bien-être et une vie digne, sera bientôt réalité ».
Quelques jours avant cet hommage à Boris Nemtsov, Vladimir Poutine recevait, le 22 février, Alexandre Loukachenko, président de la Biélorussie voisine, dont la réélection, considérée par la plupart des observateurs comme frauduleuse, a jeté dans la rue des milliers de manifestants. La rencontre entre les deux hommes est apparue pour ce qu’elle était : l’expression du soutien inébranlable apporté par le président russe à la politique de répression conduite par son homologue biélorusse, notamment à l’égard de la presse, coupable de rendre compte des manifestations qui secouent le pays depuis plusieurs mois.
« Nous irons plus loin »
Un conseil d’organisation de l’opposition tente d’organiser la riposte. Il demande le départ d’Alexandre Loukachenko et l’ouverture de négociations. Le régime compte sur un essoufflement du mouvement pour reprendre la main. Alexandre Loukachenko veut faire de l’année 2021 celle de « l’unité du peuple ». Réponse de Svetlana Tsikhanovskaïa, principale figure de l’opposition : « 2020 est devenue une année où nous avons rompu le silence et sommes descendus dans la rue. Et nous irons plus loin ».
C’est aussi le 22 février qu’en Algérie des milliers de protestataires ont célébré le deuxième anniversaire de leur mouvement. Célébrer ? « Nous ne sommes pas là pour célébrer, mais pour que vous partiez », ont lancé les manifestants à l’intention de leurs dirigeants. Les défilés, que la pandémie avait interrompus, ont repris en dépit des interdictions. Les protestataires, qui ont obtenu le départ de l’ancien président Abdelaziz Bouteflika, ne veulent toujours pas du replâtrage que leur propose son successeur, Abdelmadjid Tebboune. Ils demandent un changement de régime, qui mette à bas le vieux « système ».
Les tensions ne s’apaisent pas non plus en Birmanie, où un coup d’Etat militaire a mis fin, le 1er février, à l’esquisse de démocratie qui s’était installée il y a cinq ans après la libération de l’opposante Aung San Suu Kyi. Celle-ci est aujourd’hui de nouveau en résidence surveillée tandis que les putschistes répriment avec brutalité les rassemblements populaires. Au moins dix-huit personnes ont été tuées le 28 février dans plusieurs villes du pays. Les protestations internationales restent pour le moment sans effet. La junte militaire a choisi la manière forte tandis que la désobéissance civile s’intensifie.
En Russie comme en Biélorussie, en Algérie comme en Birmanie, la persistance des révoltes, en dépit de la répression des autorités, donne l’espoir, à long terme, d’une démocratisation de ces autocraties qui ont perdu une grande partie de leur légitimité. Toutefois, à court terme, les promesses qu’offrent ces mouvements de protestation ne sauraient dissimuler leurs faiblesses face à la puissance des appareils d’Etat qu’ils combattent.