Que peut le politique face à la finance ?

Comment mater, ou au moins apprivoiser, les fat cats (gros chats) de la finance, comme les a nommés Barack Obama ? Le débat fait rage aux États-Unis. Sans doute aurait-il fallu battre le fer quand il était chaud, imposer des règles en échange du sauvetage par l’argent public. Plus la crise semble s’éloigner, moins les banquiers sont prêts à en tirer les leçons. Est-il trop tard ?

Les banques ont repris du poil de la bête : les bonus retrouvent le niveau du bon vieux temps, la manne des lobbies se distribue librement, alors que le taux de chômage reste au-dessus de 10 % ; les PME souffrent du manque de liquidités et personne ne vient en aide aux victimes de la crise des subprimes. Signe de l’orgueil retrouvé, trois des douze PDG invités à la Maison-Blanche pour « une discussion franche et candide » - les chefs de Goldman Sachs, Citigroup et Morgan Stanley - ne se sont pas présentés, sous prétexte du mauvais temps qui aurait retardé leurs vols.

Le public gronde, un vent de populisme souffle, mais les politiques ne savent pas traduire le mécontentement croissant en propositions concrètes. Pourtant, Barack Obama s’est fait élire comme le candidat du renouveau du politique. Comment expliquer son inertie ?

On constate d’abord que ceux qui étaient ses porte-parole économiques, lors de la campagne, ne dirigent plus son équipe. Le secrétaire au Trésor, Timothy Geithner, fut directeur de la Banque fédérale de New York, sous le gouvernement Bush, et le directeur du Conseil économique à la Maison-Blanche, Larry Summers, fut secrétaire du Trésor sous Clinton. Tous les deux appartiennent au clan formé par Robert Rubin, ancien PDG de Goldman Sachs, qui dirigeait la politique économique pendant les six premières années du gouvernement Clinton, avant de pantoufler vers la Citigroup, où il était l’un des chantres du tout-finance, responsable de la crise de 2008.

On comprend mieux si on sait que la plus importante banque américaine - Citibank - dépend d’une des plus grandes organisations de services financiers du monde : Citigroup. D’où la relation nouvelle entre les traders et les banquiers. Alors que les banquiers s’occupaient traditionnellement de prêts et d’engagements à long terme, les traders sont à l’affût de gains immédiats et de marges importantes, avec les conséquences que l’on sait. Jusqu’à la crise, ils ont gagné gros ; depuis, ce sont les contribuables qui paient la note.

La solution serait d’ériger une barrière étanche entre ces deux fonctions, chacune étant légitime dans sa sphère propre. Évidemment, le lobby bancaire s’y opposera. Il mobilisera non seulement de l’argent mais aussi la logique du nouveau capitalisme qui s’est imposé depuis quelques décennies. Or, cette logique est sourde aux demandes de la société civile, et aveugle aux soucis des gens ordinaires. Elle s’oppose à la politique et veut faire oublier que la bulle et le krach avaient des causes liées au système.

Malgré les grands discours de Barack Obama, qui n’oublie pas ceux qui l’ont fait élire, son équipe traite la crise comme si elle était seulement cyclique, renflouant le secteur bancaire tout en négligeant la société civile. Or, il faudra que le Président leur fasse comprendre qu’il n’y a pas d’économie sans une solidarité sociale. La crise n’est pas finie ; sa résolution ne dépend pas d’une reprise boursière. Il s’agit de trouver le moyen de subordonner l’économie au politique. C’était la promesse qu’incarnait Barack Obama en 2008. L’a-t-il oubliée, sous la pression de la logique prônée par le nouveau capitalisme financier ?