Refonder la relation euro-africaine

Entre l’Europe et l’Afrique, les relations sont étroites et souvent conflictuelles. Elles sont dictées par l’histoire autant que par la géographie. Rien n’est simple dans le partenariat euro-africain. Les brouilles succèdent aux réconciliations, les malentendus font suite aux embrassades. Ancienne puissance coloniale, la France tient une place particulière dans ces échanges. On a forgé le terme péjoratif de « Françafrique » pour désigner le lien qui s’est établi, dans le sillage de la colonisation, entre la République française et de nombreux pays africains.
Ce lien, la France entend le moderniser et l’étendre au reste de l’Europe. « L’Europe, a déclaré Emmanuel Macron devant le Parlement européen le 19 janvier, a ainsi le devoir de proposer une nouvelle alliance au continent africain ».

Cette alliance doit être multiforme. Elle passe, selon le président français, par « un new deal économique et financier », par un agenda en matière d’éducation, de santé, de climat et, bien sûr, par « un agenda de sécurité » face à la montée du terrorisme. L’aide militaire est, à l’évidence, l’une des principales composantes du pacte entre les deux rives de la Méditerranée, en particulier au Sahel, mais celle-ci doit être revue, corrigée, réorganisée. Avec le prochain retrait, annoncé par le président de la République, des troupes françaises et européennes du Mali, où elles ont été envoyées en 2013, à la demande des autorités de ce pays, par François Hollande, alors président de la République, pour lutter contre le terrorisme djihadiste, c’est la conduite des opérations militaires qui appelle une redéfinition pour renforcer leur efficacité.

Retrait coordonné

Pourquoi quitter le Mali ? Les pays d’Europe et d’Afrique qui sont engagés dans ces opérations dénoncent, dans un communiqué commun, les « multiples obstructions des "autorités de transition maliennes », issues d’un coup d’Etat. Ils estiment que « les conditions politiques, opérationnelles et juridiques ne sont plus réunies pour poursuivre efficacement leur engagement militaire actuel dans la lutte contre le terrorisme au Mali ». Ils décident donc « d’entamer le retrait coordonné du territoire malien de leurs moyens militaires respectifs dédiés à ces opérations », tout en restant présents dans la région, selon d’autres modalités.
Ces modalités nouvelles, qui traduisent à la fois un constat d’échec dans la lutte menée contre le djihadisme et une volonté de continuer le combat, Emmanuel Macron les a précisées dans sa conférence de presse du 17 février.

Outre le transfert des bases militaires dans les pays voisins du Mali, en particulier le Niger, qui entraînera un redéploiement des forces et une modification des tactiques, les deux changements les plus nets sont d’une part l’appui supplémentaire apporté aux pays du Golfe de Guinée, de plus en plus exposés, selon le président français, à des tentatives d’implantation des groupes terroristes, et d’autre part le renforcement du lien avec les populations civiles, qui doit être au cœur de la nouvelle stratégie. Celles-ci sont, a dit Emmanuel Macron, à la fois les « premières cibles » et les « premiers remparts » dans la lutte contre le terrorisme. L’absence de soutien des populations locales, qui se sentent abandonnées par l’Etat central et préfèrent encore pactiser avec les djihadistes, est sans doute la principale faille des opérations militaires menées par Paris et ses partenaires européens.

Paix, sécurité, gouvernance

Il est important de recréer un climat de confiance entre l’Europe et l’Afrique, non seulement au Sahel mais aussi dans le reste du continent. C’est en particulier le but du sixième sommet UE-Afrique, qui s’est tenu à Bruxelles les 17 et 18 février. Ce sommet, dit-on à Bruxelles, a pour objectif de « jeter les bases d’un partenariat renouvelé et approfondi » entre l’Union africaine et l’Union européenne au moment où les deux continents affrontent la double crise du climat et de la pandémie. Il doit permettre aussi de répondre à l’offensive de la Chine et, à un degré moindre, de la Russie, dans la région. Dans cette perspective, l’UE est prête à mobiliser plus de 150 milliards d’euros d’investissements sur la période 2021-2027, ce qui est beaucoup, même si le président de l’UA, le Sénégalais Macky Sall, juge la somme insuffisante.

Tous les secteurs sont concernés, du financement de la croissance à la production de vaccins, en passant par la transition numérique, l’agriculture, les transports, la migration. Un chapitre porte sur la paix, la sécurité et la gouvernance, autrement dit sur les moyens nécessaires pour assurer le succès de la lutte antiterroriste et la stabilité du continent. Le départ du Mali des troupes de l’opération Barkhane et de la task force Takuba, coïncidant avec le sommet euro-africain de Bruxelles, peut marquer une nouvelle étape dans la relation entre les deux continents. « Un allégement du dispositif militaire au Sahel pourrait être l’occasion de relancer la relation avec l’Afrique sur des bases plus saines, plutôt que de simplement chercher à préserver les acquis », écrit dans Le Monde le politiste Marc-Antoine Pérouse de Montclos. Si l’avenir du Mali reste incertain et l’extension du djihadisme en Afrique de l’Ouest inquiétante, le renforcement de la coopération euro-africaine porte des lueurs d’espoir.

Thomas Ferenczi