Avec son nouveau président Mario Draghi, la Banque centrale européenne a pris une décision courageuse : pour contourner l’interdiction inscrite dans les traités d’aider directement les Etats de l’Union, elle a décidé de donner des liquidités au système bancaire. Son prédécesseur, Jean-Claude Trichet, ne l’avait pas fait, sous la pression des Allemands peut-être, et par conviction que le rôle de la BCE était avant tout d’assurer la stabilité de la monnaie. En période de crise cette philosophie cependant parait mal adaptée. Si les institutions financières qui doivent faire circuler le crédit ne prennent pas leur responsabilité, la crise ne peut qu’empirer. En prêtant des liquidités à moyen terme (trois ans), la banque centrale sait qu’une partie sera utilisée pour améliorer le bilan des banques, les deux tiers probablement, mais le tiers restant ira à l’économie – y compris pour acheter de la dette souveraine, notamment en Italie.
On peut critiquer le fait que la BCE prête à 1% alors que les banques vont reprêter à 3%. C’est évidemment une bonne affaire pour elles, mais c’est le prix de l’efficacité.
La crise est peut-être suspendue, mais rien n’est réglé dans les pays à la périphérie de l’UE, faute de croissance. En Grèce, diminuer la dette de 75%, c’était beaucoup, mais c’était la seule issue possible. Si maintenant toutes les mesures économiques vont dans le même sens, celui de l’austérité, empêchant la croissance, la crise peut repartir dans deux ans, non seulement en Grèce, mais dans tous les pays. Les Nordiques ont l’avantage d’avoir passé une crise redoutable il y a dix ans, et la Norvège a du pétrole, mais l’ensemble de l’eurozone est menacé.
Les effets d’une récession
Une récession européenne est inquiétante pour les pays émergents. C’est la Chine qui préoccupe le plus les analystes, à cause de sa bulle immobilière et du poids des dettes des collectivités locales. Or la récession risquerait de toucher les exportations chinoises vers l’Europe (le marché américain est en récession moins forte que l’européen). La Chine a beau être la deuxième économie mondiale et avoir été excédentaire jusqu’à présent, le problème de son marché intérieur se poserait avec acuité.
En Espagne, le problème n’est pas celui de la dette souveraine ni du déficit public, les mesures qu’a prises José Luis Zapatero ont été efficaces, même si elles ont été sa ruine (politique), et les syndicats se sont résignés à l’austérité. Les problèmes principaux concernent le déficit des communautés autonomes (collectivités locales) et l’endettement privé. L’éclatement de la bulle immobilière n’a pas encore produit tous ses effets. La baisse des prix devrait continuer, au détriment des bilans des institutions financières. Sans compter les conséquences sur l’économie réelle, et surtout sur le chômage, même si les chiffres – 20 à 25% — en sont un peu gonflés (la statistique met en avant le nombre des demandeurs d’emploi, qui ne sont peut-être pas tous entrés sur le marché du travail, plutôt que ceux des chômeurs assistés, moins nombreux). Dans l’immobilier nombre d’emplois ont été perdus du jour au lendemain. Mais l’Italie et l’Espagne sont des pays trop importants pour que l’Europe les laisse tomber…
Le Portugal va un peu mieux, le PIB va y reculer de 3% en 2012, mais les finances publiques s’améliorent et la dette augmentera peu à court terme, elle diminuera en 2015, le déficit aussi. Le Portugal est petit et fermé et son marché le plus important est l’Espagne, qui n’est pas dans une très bonne situation. De plus, il est en concurrence avec les pays émergents pour beaucoup de biens de consommation, le textile, etc. ; c’est une économie vulnérable.
Pour des politiques anticycliques
La croissance est donc la question principale. Même les agences de notation en viennent à dégrader la note d’un pays « faute de perspectives de croissance ». Pour la relancer, on devrait s’inspirer des Etats-Unis : la réserve fédérale a donné des liquidités à l’économie. Il faudrait trouver des budgets pour des mesures keynésiennes, ce qui est difficile lorsqu’on veut en même temps réduire la dette. Quelques économistes comme Joseph Stiglitz, Paul Krugman ou Olivier Blanchard, du FMI ou de la Banque Mondiale, ont essayé de concevoir une telle politique. Si tous les pays font en même temps une politique procyclique, exclusivement dirigée vers l’austérité, c’est la récession, même pour les pays encore excédentaires.Une politiquesanticyclique consisterait à limiter les ressources destinées à sauver les banques aux demandes financières urgentes,pour réserver la plus grande partie des fonds disponibles à la relance de la croissance. Comme l’activité privée est importante, l’amélioration de la liquidité bancaire peut être favorable.
La Banque du conseil de l’Europe est doublement concernée par la crise : par la rareté des crédits, qui rend sa présence encore plus nécessaire dans le logement, la santé, l’éducation… Et, négativement, parce que la moitié de ses investissements actuels sont dans des pays nouveaux alors que ceux qu’elle aidait traditionnellement ont vu leur situation empirer avec la notation des agences. Elle travaille beaucoup avec les banques Reiffeisen, avec les banques autrichiennes, le Credito Italiano… dans les pays de l’Est, avec la garantie de ces banques et la capillarité de leur présence dans le marché. Elle octroie 2 ou 3 milliards d’euros par an, dans une politique contracyclique dans les pays cibles, mais qui aide aussi les non cibles.
Des europrojets pour la croissance
Créer au niveau européen des possibilités d’emprunt est un vieux projet de Delors. Créer non pas des « eurobonds » mais des europrojets qui ne seraient pas destinés à financer la dette mais à mener à bien des investissements spécifiques utiles à la croissance. Il s’agit de découpler l’endettement et les investissements de développement. La Banque Européenne d’Investissement peut être l’agent à activer : l’effet de levier d’une action de la BEI peut être énorme, si on peut le faire avec une garantie mutualisée au nom de l’Europe, qui a une bonne cote de crédit (ce qui n’est pas la même chose que la mutualisation de la dette). Les cibles concrètes pourraient en être la recherche, les nanotechnologies, l’énergie renouvelable, les transports…Ce n’est pas possible avec le budget européen actuel que les Etats veulent encore réduire. La dernière vague des fonds structurels n’a pas été utilisée parce que ce système exige une participation du pays receveur (pour éviter les abus) et que les crédits sont subordonnés à des projets précis. L’avantage énorme est qu’ils ne sont pas remboursables. La Banque du conseil de l’Europe peut les compléter.