Turquie : l’improbable reprise des négociations d’adhésion

Les négociations d’adhésion entre la Turquie et l’Union européenne sont dans l’impasse depuis leur ouverture il y a dix ans. Les Européens envisagent de les relancer pour convaincre Ankara de les aider à endiguer les flux migratoires. Mais le durcissement du régime turc manifeste pendant la campagne pour les élections du 1er novembre et les troubles qui agitent le Proche-Orient rendent difficile la reprise des pourparlers. Le sort de la minorité kurde, en particulier, inquiète les Européens.

La mosquée bleue à Istanboul

Les dirigeants européens ont promis à la Turquie, dans le cadre d’un plan d’action commun contre les flux migratoires, de relancer la négociation sur l’entrée du pays dans l’Union. « Le processus d’adhésion doit être relancé en vue de faire avancer les négociations », a déclaré le Conseil européen à l’issue de sa réunion du 15 octobre. Ces négociations, commencées en 2005, sont aujourd’hui en panne. Sur les 35 chapitres en discussion, 14 ont été ouverts (13 entre 2006 et 2010 et le dernier, après une interruption de plus de trois ans, en novembre 2013, sur « la politique régionale et la coordination des instruments structurels »). Un seul a été bouclé (« science et recherche » en 2006). Au lendemain de la victoire électorale du président turc Recep Tayyip Erdogan, est-il possible de rendre « plus dynamique », selon la formule d’Angela Merkel, le processus d’adhésion ?

Le respect de l’Etat de droit

C’est en 1987 que la Turquie a présenté, pour la première fois, sa candidature. En 1995, elle a signé avec l’UE un accord d’union douanière, salué en ces termes par la première ministre de l’époque, Tansu Ciller : « La vraie bataille pour l’Europe commence ». En 1999, la Turquie obtient le statut de pays candidat. Le Conseil européen affirme qu’elle « a vocation à rejoindre l’Union sur la base des mêmes critères que ceux qui s’appliquent aux autres pays candidats ». En 2005 enfin l’UE donne son feu vert à l’ouverture des négociations. Les critères
auxquels doit satisfaire la Turquie ont été formulés en 1993 à Copenhague : ils incluent, outre la conclusion des 35 chapitres correspondant à l’acquis communautaire, c’est-à-dire à l’ensemble de la législation européenne, le respect de l’Etat de droit et la mise en place d’une économie de marché viable.

Après avoir bien démarré, les discussions se sont enlisées jusqu’à s’interrompre presque complètement. Le refus de la Turquie d’appliquer à Chypre le protocole d’Ankara, qui étend l’union douanière aux dix nouveaux Etats membres entrés dans l’UE en 2004, est l’une des causes du blocage, mais ce n’est pas la seule. L’évolution du pays préoccupe en effet les négociateurs européens. Ainsi la Commission européenne, en 2012, a-t-elle exprimé ses « inquiétudes croissantes » face à l’absence de progrès dans la mise en œuvre des critères politiques. Elle a dénoncé en particulier les « violations récurrentes » du droit à la liberté et à la sûreté, à un procès équitable, à la liberté d’expression, de réunion et d’association, et condamné « l’application disproportionnée » de la législation sur le terrorisme et la criminalité organisée.

Les trois questions qui fâchent

Ce recul de la démocratie en Turquie s’ajoute aux trois « questions qui fâchent » relevées en 2008 par Michel Rocard dans un livre au titre non équivoque « Oui à la Turquie » : « l’abcès kurde », « le tabou arménien » et « le casse-tête chypriote ». Sur la question kurde, note l’ancien premier ministre, l’attitude turque est « en contradiction absolue avec les normes acceptées dans l’Union européenne », le respect des minorités faisant partie des critères de Copenhague. Sur la reconnaissance du génocide arménien, les autorités turques ont encore un long chemin à parcourir. Sur la question chypriote, comme le soulignent « avec raison », selon Michel Rocard, les opposants à la candidature de la Turquie, « l’Union européenne ne peut admettre qu’un de ses membres occupe le territoire d’un autre de ses membres ». Même si le règlement de ces contentieux n’a jamais été considéré comme un préalable à la poursuite des pourparlers d’adhésion, leur persistance ne facilite pas la reprise du dialogue entre Bruxelles et Ankara.

On connaît les termes du débat entre partisans et adversaires de l’adhésion turque. Pour les premiers, l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne aurait plusieurs effets positifs. D’abord elle provoquerait une forte croissance des échanges économiques pour le plus grand bénéfice des deux parties. Ensuite, en accueillant dans ses rangs un grand pays de 75 millions d’habitants doté d’une armée solide, elle renforcerait la puissance de l’UE sur la scène internationale. Enfin elle favoriserait le rapprochement de l’Europe avec le monde musulman et lui permettrait de jouer un rôle stabilisateur dans une région en crise. Mais ces arguments peuvent être retournés. Les opposants à l’adhésion turque, même lorsqu’ils n’invoquent pas les valeurs chrétiennes de l’Europe, s’inquiètent du poids excessif que la Turquie pourrait acquérir au sein de l’UE, redoutent les flux migratoires que son entrée pourrait susciter et jugent dangereux que l’Europe se trouve dotée, via la Turquie, de frontières communes avec la Syrie, l’Irak ou l’Iran. Les troubles qui agitent le Proche-Orient, de même que le durcissement du régime turc, ne plaident pas pour une relance des négociations d’adhésion. L’entrée éventuelle de la Turquie dans l’UE ne peut être, comme l’a dit Manuel Valls, qu’une « perspective de long terme ».