En présentant les nouveaux membres de la Commission européenne, qu’il est appelé à présider pendant les cinq prochaines années, Jean-Claude Juncker a martelé à l’intention des Européens un message-clé : non, l’exécutif européen n’est pas, comme l’affirmait de Gaulle, un cénacle de technocrates irresponsables incapables de se mettre à l’écoute des opinions publiques, mais un organisme politique démocratiquement élu sur un programme d’action qu’il s’efforce de mettre en œuvre au nom du peuple qui l’a porté au pouvoir. Les commissaires, a souligné le nouveau président de la Commission, ne sont pas des hauts fonctionnaires, mais des hommes politiques qui ont fait leurs preuves chez eux et qui entendent agir à Bruxelles dans le même esprit que dans leurs capitales respectives.
Depuis qu’il a lancé sa campagne pour la présidence de la Commission, l’ancien premier ministre luxembourgeois développe la même idée : pour rendre l’Europe populaire, la Commission, cible principale des eurosceptiques, doit combattre une bureaucratie excessive qui paralyse l’invention et freine l’initiative, elle doit se transformer en un outil « dynamique et efficace » au service des grandes orientations approuvées par les électeurs. Les commissaires doivent sortir de leur tour d’ivoire et renouer avec les citoyens « afin que les Européens puissent redevenir fiers de l’Union européenne ». Cela ne suffira peut-être pas à remettre l’Europe « sur le chemin de l’emploi et de la croissance », comme le souhaite Jean-Claude Juncker, mais un grand pas aura été fait pour donner un nouvel élan aux institutions européennes.
Des commissaires expérimentés
Le mode de désignation de Jean-Claude Juncker, premier président de la Commission désigné par l’ensemble des Européens à l’occasion du scrutin européen, a été la première étape de la « politisation » du collège européen. L’ancien premier ministre luxembourgeois a su ensuite conclure un pacte majoritaire avec le Parlement, qui l’a assuré du soutien des principaux groupes. Puis il a obtenu le vote favorable du Conseil. Il a conduit ces diverses négociations avec autorité et savoir-faire. La composition de la nouvelle Commission répond à la même préoccupation, qui est de renforcer le pouvoir de cette institution en installant aux postes de commande des professionnels de la politique, ayant exercé d’importants mandats nationaux, et en rénovant les méthodes de travail.
Jean-Claude Juncker souligne avec satisfaction que son équipe comprend cinq anciens premiers ministres et quatre anciens vice-premiers ministres, ainsi que dix-neuf anciens ministres et huit anciens eurodéputés. Le temps n’est plus, dit-il, où les pays envoyaient à Bruxelles des personnalités de second plan. Les vingt-huit commissaires sont expérimentés et aptes à constituer une Commission que son président qualifie de « politique ». Mais la principale innovation est la nomination d’une demi-douzaine de vice-présidents chargés d’incarner les orientations politiques de la Commission et de coordonner le travail des autres commissaires afin de mettre en œuvre ces orientations. Ainsi un vice-président chargé de l’emploi, de la croissance, de l’investissement et de la compétitivité, l’ancien premier ministre finlandais Jyrki Katainen, s’assurera que ces priorités ne sont pas oubliées par les commissaires chargés des dossiers économiques, comme Pierre Moscovici, nommé responsable des affaires économiques et financières. Un vice-président à l’euro et au dialogue social, l’ancien premier ministre letton Valdis Dombrovskis, sera appelé, de la même manière, à coopérer avec plusieurs commissaires dont les compétences relèvent de ce vaste portefeuille.
Une plus grande collégialité
L’objectif de Jean-Claude Juncker est de décloisonner des services trop souvent habitués travailler isolément et de rendre ainsi possible une plus grande collégialité afin que ne soient pas perdus de vue, dans la routine de l’action quotidienne, les grands choix politiques que se fixe la Commission. Le succès de cette organisation dépendra en grande partie de la collaboration qu’établiront entre eux les vice-présidents placés à la tête de ces « équipes de projet » et les autres commissaires. Jean-Claude Juncker affirme qu’il n’y aura pas des commissaires « de premier rang » et des commissaires « de second rang ». Les vice-présidents, dit-il, ne seront pas des « superviseurs » mais des « animateurs » chargés d’organiser le dialogue et la coopération. Sur le papier, la formule semble excellente. Elle permet aussi de répondre aux objections de ceux qui critiquent l’attribution des affaires économiques et financières au Français Pierre Moscovici ou des services financiers au Britannique Jonathan Hill, en soulignant que l’un et l’autre devront agir en concertation avec les vice-présidents. Cet esprit collectif concernera également la haute représentante pour la politique étrangère, l’Italienne Federica Mogherini, qui va s’installer, à la différence de Catherine Ashton, à laquelle elle succède, dans les locaux de la Commission et travaillera étroitement avec le commissaire à la politique de voisinage et à l’élargissement, l’Autrichien Johannes Hahn.
A Bruxelles, la présentation de la nouvelle équipe a plutôt séduit de nombreux « eurocrates » qui attendaient depuis longtemps une réorganisation de la Commission. Les plus optimistes évoquent l’heureux temps de Jacques Delors et croient que le nouveau président peut mettre ses pas dans ceux de son lointain prédécesseur. Les plus pessimistes craignent que rien ne change et que le beau schéma mis au point par Jean-Claude Juncker ne soit qu’une plaisante illusion.