En choisissant de porter à la présidence du Conseil européen, en remplacement d’Herman Van Rompuy, le premier ministre polonais Donald Tusk, les chefs d’Etat et de gouvernement européens rendent hommage, dix ans après leur entrée dans l’Union, aux nations de l’ancien empire soviétique, et à la plus puissante d’entre elles, la Pologne, dont le combat pour la liberté, à l’époque de Solidarnosc, a servi de signal à l’émancipation de l’ancienne « Europe captive ». Mais ils honorent aussi, en Donald Tusk, le dirigeant d’un pays devenu en quelques années l’un des piliers de l’Union, le seul qui ait échappé à la récession dont a souffert l’ensemble du continent et l’un de ses membres les plus actifs sur la scène internationale. La décision des Vingt-Huit est donc doublement symbolique, saluant à la fois la réunification d’une Europe qui fut longtemps séparée et le succès d’un pays qui s’est modernisé à vive allure en jouant pleinement le jeu de l’Union.
Né en 1957, Donald Tusk ne fait partie des figures historiques qui ont accompagné, en 1980, les grandes grèves dont Lech Walesa fut le principal meneur. A l’époque, le futur premier ministre obtenait son diplôme d’histoire à l’Université de Gdansk, sa ville de naissance, avec un mémoire sur Jozef Pilsudski, le héros polonais de la lutte antibolchevique dans l’entre-deux-guerres. Gdansk est aussi le berceau du syndicat Solidarité dont Donald Tusk crée, avec d’autres, sa branche étudiante. Lech Walesa est son modèle et le restera. Donald Tusk, qui a découvert l’économie de marché en créant une entreprise de peinture, appartient au groupe des libéraux de Gdansk, auquel il demeurera fidèle. La Plate-forme civique, parti dont il sera le cofondateur en 2001 au terme de diverses scissions affectant notamment l’Alliance électorale Solidarité, se réclamera de cet héritage. Lech Walesa lui apportera son soutien après sa double défaite aux élections présidentielles de 1995 et 2000. En dépit des divergences et des rivalités qui sont apparues, au fil des années, entre les acteurs de la révolution pacifique née à Gdansk en 1980 avant de gagner le pays tout entier, Donald Tusk peut se prévaloir, dans la Pologne postsoviétique, d’une telle filiation.
Un libéral décomplexé...
Elu député pour la première fois en 1991, puis sénateur en 1997 avant de revenir à la Diète en 2001, Donald Tusk est candidat à la présidence de la République en 2005. Il est battu par le nationaliste Lech Kaczynski, qui mourra en 2010 dans l’accident d’avion de Smolensk, mais il gagne les élections législatives de 2007, succédant, comme premier ministre, à Jaroslaw Kaczynski, le frère jumeau du président de la République. Il est reconduit au lendemain des élections de 2011. Sept ans après son arrivée au pouvoir, même si les sondages donnent son parti perdant aux élections législatives de 2015 face à celui de son vieux rival Jaroslaw Kaczynski, dont les accents populistes, ici comme ailleurs, séduisent l’électorat, il peut se vanter d’avoir conduit avec succès, en libéral décomplexé, la transformation économique de son pays et participé activement au renforcement de l’Union, notamment pendant sa présidence tournante au second semestre 2011.
... et un européen convaincu
Donald Tusk est en effet un européen convaincu. Il attend de l’UE qu’elle affirme davantage sa présence sur la scène diplomatique. Il est particulièrement attentif aux relations qu’elle entretient avec les pays d’Europe de l’Est. Il fut, avec son homologue suédois, l’initiateur du Partenariat oriental destiné à fortifier les liens entre l’UE et ses voisins par des accords d’association sans pour autant rompre avec la Russie. La crise ukrainienne a montré les limites de cette stratégie. Le premier ministre polonais n’en reste pas moins très impliqué dans la recherche d’une solution au conflit entre Kiev et Moscou. A la tête du Conseil européen, il continuera certainement de suivre de près ce dossier. Il encouragera aussi la difficile construction d’une défense européenne, dont il a à plusieurs reprises souligné la nécessité. La Pologne, qui occupe un poste de secrétaire général adjoint à la direction du Service européen d’action extérieure, a également participé à plusieurs opérations de gestion de crise en Afrique ou dans les Balkans.
Le nouveau président du Conseil européen, qui parle bien l’allemand et mal l’anglais, affiche une grande proximité avec l’Allemagne d’Angela Merkel, qui a largement contribué à sa nomination. Mais, après avoir célébré, de diverses manières, la réconciliation germano-polonaise, Donald Tusk n’entend pas se laisser enfermer dans un tête à tête avec la chancelière. La presse polonaise voit dans sa désignation un « signal clair » que le centre de gravité de l’UE se déplace vers l’Est. Ce choix traduit en effet une reconnaissance du poids de la Pologne en Europe mais il pourrait aussi, du même coup, donner du poids à la fonction de président du Conseil européen.