Vers une fédéralisation des contrôles aux frontières

La Commission européenne, soutenue par la France et l’Allemagne, veut créer un corps européen de garde-frontières qui disposerait d’une force permanente capable d’être déployée rapidement et qui aurait aussi le pouvoir d’intervenir directement en cas de crise grave aux frontières d’un Etat. Ce pas important vers une mutualisation des contrôles frontaliers ne fait pas l’unanimité auprès des vingt-huit Etats membres.

Une équipe de Frontex en Méditerranée
Frontex

Si les Vingt-Huit parviennent à se mettre d’accord sur la création d’un corps européen de garde-frontières, ils auront fait un grand pas vers une politique commune de contrôle de l’immigration. Le projet de la Commission présenté mardi 15 décembre au Parlement européen et jeudi 17 décembre au Conseil européen marque en effet une avancée peut-être décisive dans la « fédéralisation » du dispositif de protection des frontières extérieures de l’Union européenne.

La nouvelle agence, destinée à remplacer le système Frontex, disposera en effet, si le plan est adopté, d’un personnel permanent de mille agents, auxquels s’ajouteront environ mille cinq cents réservistes, qui pourront être rapidement mobilisés, sans qu’il soit nécessaire de solliciter le concours des Etats membres. En outre, elle pourra s’autosaisir elle-même quand elle jugera qu’une frontière est menacée et que le pays concerné n’est pas en mesure de faire face. Il appartiendra à la Commission, après consultation d’un groupe d’experts issus des Etats membres, d’inviter l’agence à passer à l’action, au risque de court-circuiter les gouvernements nationaux.

La Grèce visée par les autorités européennes

Les autorités européennes, affirment que l’exercice de ce pouvoir d’initiative devrait rester exceptionnel. Elles visent notamment la Grèce, à laquelle elles reprochent d’avoir tergiversé avant de s’adresser à Frontex. Le vice-président de la Commission, Frans Timmermans, a précisé au Monde que la nouvelle force n’interviendra directement qu’en cas de « crise grave » c’est-à-dire rarement, dès lors qu’un Etat se montrera incapable de contrôler sa frontière. Il a ajouté : « La situation sera mieux gérée car l’expérience montre que, si l’on attend trop longtemps, on en perd le contrôle ».

Frontex : de la coordination à l’assistance

Une première étape a été franchie dans la gestion intégrée des frontières lorsqu’a été créée, en 2004, l’agence Frontex. Ses objectifs étaient encore modestes : basée à Varsovie, elle était censée gérer la « coopération opérationnelle » aux frontières extérieures sans aller au-delà d’une fonction de coordination. Elle devait assister les Etats membres dans la formation de leurs garde-frontières, les aider à évaluer les risques en analysant les grandes tendances migratoires et surtout venir à leur secours, au moyen de navires, d’hélicoptères ou d’avions patrouilleurs, quand la situation l’exigeait.

L’une de ses missions était d’organiser des patrouilles maritimes conjointes en Méditerranée, en association avec les Etats riverains. Ce qu’elle a fait, avec des moyens limités et des résultats insuffisants. Dès l’origine, les dirigeants européens étaient conscients de ses faiblesses. Ils considéraient sa création comme un point de départ, assez discret pour ne pas heurter de front la souveraineté des Etats membres. La Commission européenne, dans une communication de 2002 qui préparait la mise en place de Frontex, recommandait, à terme, l’établissement d’un corps européen de garde-frontières mais se gardait d’en précipiter la naissance, sachant que les Etats membres n’étaient pas prêts à un tel saut supranational.

Le soutien de Paris et de Berlin

Dix ans après la naissance de Frontex, les chefs d’Etat et de gouvernement en reconnaissent les carences. La protection des frontières extérieures, contrepartie de la suppression des contrôles aux frontières intérieures en application des règles de Schengen, est devenue un impératif politique. Le Conseil européen a donc choisi d’aller au-delà de Frontex. En juin 2014, il déclarait : « Dans le cadre du développement à long terme de Frontex, il conviendrait d’étudier la possibilité de mettre en place un système européen de garde-frontières afin de renforcer les capacités de contrôle et de surveillance à nos frontières extérieures ». En octobre 2015, il proposait d’« élargir le mandat de Frontex dans le cadre des discussions sur la création d’un corps de garde-frontières et de garde-côtes européens ».

Entretemps, la Commission européenne a développé plusieurs fois cette idée, que son président, Jean-Claude Juncker, a reprise dans son Discours sur l’état de l’Union en septembre 2015. François Hollande, le 7 octobre devant le Parlement européen, s’est associé à une l’initiative en déclarant : « Le contrôle effectif des frontières de l’Union passe par une assistance renforcée aux Etats-frontières et par la mise en place d’un corps de garde–frontières, de garde-côtes européens, comme le président de la Commission européenne en a fait la proposition ». Cette proposition a été approuvée par Angela Merkel. Mais elle inquiète plusieurs Etats membres, notamment la Pologne, qui craignent de se voir dépossédés de leur liberté de décision dans le contrôle de leurs frontières.